Coran : comment la Parole a préservé l’Écrit
L’un des effets du navet islamophobe L’innocence des musulmans, qui avait défrayé la chronique en septembre dernier, a été de booster les ventes de livres islamiques en Europe.
«[…] Il arrive que vous détestiez une chose, alors qu’elle est un bien pour vous» (Coran II:216). De fait, l’un des effets du navet islamophobe L’innocence des musulmans, qui avait défrayé la chronique en septembre dernier, a été de booster les ventes de livres islamiques en Europe. Une hausse de 20 à 30 % a ainsi été enregistrée en Grande-Bretagne. Le phénomène est plus spectaculaire encore en Espagne, où, d’après le récent rapport du Centre espagnol des recherches (ANT), le second livre le plus vendu dans la péninsule est la Sira de Ibn Hicham (biographie du Prophète datant du IXe siècle), tandis qu’en première place trône le Coran lui-même. Cet intérêt pour le Coran, s’il est de nature à réjouir les musulmans, soulève néanmoins deux paradoxes, qui à leur tour révèlent le lien particulier qui les unit au texte coranique. Il s’agit en effet de livres, de textes écrits, alors que l’oralité a longtemps été première dans le rapport des musulmans au Coran. Il s’agit ensuite de traductions, qui, stricto sensu, sont impossibles, puisqu’aucune créature ne saurait rendre dans aucune langue ce qui est la parole même de Dieu. Qur’ân signifie littéralement «récitation» : c’est sous cette forme qu’il est apparu, et que durant les deux premières décennies de l’islam, le Prophète l’a transmis à ses adeptes, qui à leur tour ont pu le mémoriser pour pouvoir le réciter, et donc le diffuser. à la mort du Prophète, ils seront la seule norme de la communauté, les gardiens de la Parole de Dieu. La tradition orale ainsi établie aura depuis lors une histoire continue, et à plus d’un égard indépendante du Coran écrit, et supérieure à lui. Elle constituera ainsi au cours des premiers siècles la norme en fonction de laquelle le texte écrit doit être jugé. Au siècle dernier encore, lorsqu’en 1920 il s’est agi d’élaborer une édition de référence – l’édition égyptienne du Coran, dite «classique» –, ce sont la tradition orale et la littérature des qirâ’ât (science des lectures du Coran) qui ont fait autorité pour la fixation du texte écrit, bien plus que les manuscrits anciens du Coran.
Les défis linguistiques du Coran
La tradition orale du Coran entier est toujours entretenue, aujourd’hui comme aux premiers siècles de l’islam, par les récitateurs professionnels (qurrâ’), tandis que les musulmans du monde entier, quelle que soit leur langue, apprennent par cœur des parties du Coran pour pouvoir s’acquitter des prières quotidiennes. En effet, si on peut traduire la Parole de Dieu pour pouvoir la comprendre, on ne la récite jamais que sous sa forme originale. Cette forme est certes arabe, mais elle est surtout inimitable. Si d’emblée en effet le Coran a été conçu comme une preuve de la prophétie de Muhammad, le dogme de son inimitabilité (i‘jâz) se précisera dans les siècles qui suivront. Il s’appuie notamment sur l’idée que chaque prophète avait reçu un miracle confirmatif, et que celui de Muhammad était le Coran. Il tire sa justification empirique de l’incapacité dans laquelle se sont trouvés les contemporains du Prophète de relever le défi de produire ne serait-ce qu’une sourate semblable à celles qu’il récitait, défi lancé par Dieu lui-même dans nombre de ses versets (II:23, X:38, XI:13, etc.). D’où l’impossibilité de la traduction au sens strict. L’expression coranique est en effet un miracle (mu‘jiza) que, par définition, l’homme ne saurait imiter. Pour autant la démarche n’est pas vaine, loin s’en faut : si elle ne peut prétendre au statut d’équivalent en langue étrangère, la «traduction» accède néanmoins, et d’emblée, à celui, valorisé, de commentaire (tafsîr), qui, quoiqu’à un autre niveau, contribue comme la récitation à la diffusion de la Parole de Dieu.
source : http://iqna.ir