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Alî ibn abî tâlib, Le quatrieme calife

LE QUATRIEME CALIFE Réflexions Concernant l'Election d'un Calife à la Place de 'Othmân Après la mort de 'Othmân, la terreur régna dans la ville et les régicides en devinrent les maîtres en l'absence de tout gouvernement. Les citoyens, constatant l'état tumultueux de la populace en révolte
Alî ibn abî tâlib, Le quatrieme calife

LE QUATRIEME CALIFE


 




Réflexions Concernant l'Election d'un Calife à la Place de 'Othmân

Après la mort de 'Othmân, la terreur régna dans la ville et les régicides en devinrent les maîtres en l'absence de tout gouvernement. Les citoyens, constatant l'état tumultueux de la populace en révolte, et craignant une guerre civile, réclamèrent l'élection immédiate d'un Calife. L'attitude menaçante de ceux qui étaient venus de différentes parties de l'Empire, c'est-à-dire d'Egypte, de Syrie, de Mésopotamie et de Perse à cette occasion, avait de quoi alarmer beaucoup de gens, car ils avaient décidé de ne pas se disperser avant de savoir qui serait leur Souverain.

Il y avait deux candidats, Talha et Zubayr (tous deux, frères de lait de 'Âyechah), qui aspiraient au Califat en s'appuyant sur le soutien puissant de 'Âyechah, mais malheureusement pour eux, elle n'était pas présente à Médine à ce moment-là, puisqu'elle se trouvait à la Mecque, comme nous l'avons déjà noté. Talhah - qui avait pris une part active dans l'incitation des assiégeants de la maison de 'Othmân à précipiter le cours des choses - et son associé, Zubayr, étaient appuyés dans leur candidature par quelques gens de Basrah et de Kûfa, mais la majorité du peuple de Médine, qui prétendait jouir du droit exclusif d'élire un Calife, s'était choisi un troisième homme plus digne de ce poste. C'était un homme admiré aussi bien par ses amis que par ses ennemis, pour son courage, son éloquence, sa magnanimité, sa piété, sa noblesse et sa proche parenté avec le Prophète.

 


Il s'agissait évidemment de 'Alî, le cousin germain du Prophète, et le père de la postérité du Prophète, par sa fille bien-aimée, Fâtimah. Il était considéré comme le prétendant naturel au Califat, et les gens, désireux à présent d'être gouvernés par l'héritier du Prophète, voulaient voir 'Alî élevé à sa légitime dignité. Talhah et Zubayr, alerté par l'atmosphère générale favorable à 'Alî, se tinrent tranquilles, et pensèrent qu'il était plus prudent de dissimuler leurs sentiments au point d'accepter de prêter serment d'allégeance à 'Alî lorsqu'il fut élu, avec la ferme intention d'abjurer dès qu'une occasion favorable se présenterait à eux.

L'Election de 'Alî

Donc plusieurs notables de la ville de Médine se rendirent chez 'Alî et lui demandèrent d'accepter de gouverner. En réponse, il leur affirma qu'il n'avait pas d'attirance pour le pouvoir temporel, et qu'il prêterait volontiers d'allégeance à quiconque ils éliraient. Mais les Médinois insistèrent sur le fait qu'il n'y avait aucune autre personne aussi qualifiée que lui pour ce poste. Cependant 'Alî resta, malgré toute leur insistance, ferme dans son refus, et dit qu'il aimerait mieux servir un autre comme conseiller que de se charger du gouvernement lui-même.

Les insurgés, soucieux de remettre la ville dans son état normal après l'avoir réduite eux-mêmes au présent état de désordre, étaient les plus ennuyés par la difficulté du choix d'un Calife. Aussi insistèrent-ils pour que, avant leur départ, les citoyens de Médine qui prétendaient jouir du droit exclusif de choisir le futur Calife, procèdent à son élection en un jour, car elles étaient les seules personnes qualifiées pour régler la controverse, en précisant que si ce choix n'était pas fait dans le délai imparti, ils (les insurgés) passeraient par les armes les notables de la ville.

Alarmés par cet ultimatum, les gens revinrent chez 'Alî le soir même et lui expliquèrent la situation, le suppliant de reconsidérer sa position et les menaces qui pesaient sur la Religion. Cédant finalement à leur argumentation pathétique, 'Alî accepta leur requête, bien qu'avec réticence, en leur disant: «Si vous m'excusez et élisez un autre que vous jugeriez plus digne que moi d'être élu, je me soumettrai à votre choix et je prêterai allégeance à votre élu. Si non, et si je dois me conformer à votre désir et accepter votre offre, je vous dis franchement dès le début que je conduirai l'administration d'une façon totalement indépendante et que je traiterai tout selon le Livre Sacré du Seigneur et mon jugement».

En fait «'Alî craignait les intrigues de 'Âyechah, Talhah, Zubayr et de toute la famille Omayyade (dont le chef était Mu'âwiyeh, le lieutenant de 'Othmân en Syrie) dont il savait qu'ils saisiraient toutes les occasions pour s'opposer à son gouvernement». ("History of the Saracens" de S. Ockely, p. 289)

L'Inauguration du Califat de 'Alî

Le lendemain matin (le quatrième jour après l'assassinat de 'Othmân), les gens se rassemblèrent en grand nombre dans la grande Mosquée où 'Alî apparût habillé d'une simple robe de coton et coiffé d'un rude turban autour de la tête, et portant dans sa main droite un arc et dans sa main gauche des pantoufles qu'il avait ôtées par respect pour le lieu.

Talhah et Zubayr n'étant pas présents, il demanda qu'on les fasse venir. Lorsqu'ils arrivèrent, ils lui tendirent leurs mains en signe d'approbation de son élection au Califat. Mais 'Alî se garda de répondre à leur geste et leur dit que s'ils étaient sincères dans leur cur, ils devaient lui faire serment d'allégeance en bonne et due forme, leur assurant qu'en même temps, si l'un d'entre eux acceptait le Califat, il était, quant à lui, tout à fait disposé à lui prêter serment d'allégeance en toute sincérité et qu'il serait plus heureux de le servir en tant que conseiller que de gouverner lui-même. Tous les deux déclinèrent cette offre, et pour exprimer leur satisfaction de son accession au Califat, ils avancèrent leurs mains pour lui rendre hommage.

Le bras de Talhah avait été estropié à la suite d'une blessure survenue lors de la bataille d'Ohod. Aussi ne pouvait-il le tendre qu'avec difficulté. Et étant le premier à commencer la cérémonie d'hommage, l'assistance considéra son attitude comme une mauvaise augure et un assistant fit cette remarque: «Il est probable que ce sera une piètre affaire que celle qui commence par une main estropiée». La suite des événements donnera raison au présage.

L'assistance prêta ensuite serment d'allégeance à 'Alî, et son exemple fut suivi par tout le peuple. Aucun des Omayyades ni des proches partisans de 'Othmân ne se présenta. 'Alî, pour sa part, ne pressa personne de venir lui prêter serment d'allégeance. Il y avait aussi certains notables de Médine qui restèrent à l'écart, ne voulant pas rendre hommage à 'Alî.

Il s'agissait (selon al-Mas'ûdî) de Sa'd Ibn Abî Waqqâç, Maslamah Ibn Khâlid, Al-Moghîrah Ibn Cho'bah, Qidâmah B. Matzun, Wahbân Ibn Sayfi Abdullâh B. Salmân, Hasan Ibn Thâbit, Ka'b Ibn Mâlik, Abû Sa'îd Khudrî, Mohammad Ibn Maslamah, et 'Abdullâh Ibn 'Omar(110), Fidhalah Ibn 'Abîd, Ka'b Ibn Ajza.

Habib al-Sayyâr ajoute à cette liste: Zayd Ibn Thâbit, Osma Ibn Zayd, Abû Mûsâ al-Ach'ari, Zayd B. Râfi', Salma Ibn Salma, Sohayb Ibn Sinân, No'mân Ibn Bachîr et al-Tabari y ajoute: Râfi' Ibn Khadij. Ces gens furent surnommés les Mo'tazilah.

Les insurgés, ayant rendu hommage à 'Alî, retournèrent chez eux.

Les Cris de Vengeance pour l'Assassinat de 'Othmân

Après l'inauguration du Califat de 'Alî, Talhah et Zubayr, accompagnés de plusieurs autres, vinrent voir 'Alî et lui demandèrent que le meurtre de 'Othmân soit absolument vengé, offrant leurs services pour atteindre ce but. 'Alî savait parfaitement que le crime avait été perpétré devant leurs yeux et que leur cri de vengeance n'était destiné qu'à provoquer des troubles en excitant la foule des ennemis.

Il leur expliqua donc que l'événement avait ses fondements dans de vieilles dissensions, qu'il y avait plusieurs parties dont les opinions divergeaient sur ce point, que ce n'était pas encore le moment de susciter une guerre civile, que le mécontentement était à l'instigation du diable qui, une fois maître du terrain, ne le lâcherait pas facilement, et que toutes les mesures qu'ils suggéraient de prendre n'étaient autres que la propre proposition du diable en vue d'encourager l'agitation et les troubles. Il les informa toutefois qu'il avait déjà convoqué Marwân, le secrétaire de 'Othmân, et Nâ'ilah la femme de ce demier (qui étaient tous deux tout le temps dans la même maison avec le Calife assassiné) afin de les interroger sur les vrais coupables qui avaient perpétré le meurtre. Marwân était réticent, alors que Nâ'ilah dit que les meurtriers étaient au nombre de deux, mais elle ne put ni nommer ni identifier aucun d'eux. 'Alî ajouta à l'adresse des partisans de la vengeance que plusieurs personnes étaient suspectées d'être impliquées dans le crime, mais qu'il n'y avait pas de preuves formelles contre elles.

Dans ces conditions, jura-t-il, à moins que toutes les parties s'unissent, si Dieu le voulait, il était difficile de faire des pas concluants. Il demanda aux visiteurs quelle méthode d'action ils proposaient pour atteindre le but. Ils répondirent qu'ils n'en connaissaient aucune. Puis, il dit: «Si vous parvenez à désigner un jour les assassins de 'Othmân, je ne manquerai pas de faire valoir la majesté de la Loi Divine en leur faisant payer ce qu'ils doivent».

Ils restèrent silencieux. Ainsi, leur proposition insidieuse ayant été déjouée, ils repartirent. En même temps, averti par le départ soudain des familles Omayyades, 'Alî commença à s'assurer la bonne volonté des Quraych et des Ançâr en leur montrant sa haute appréciation de leurs mérites, car il voulait avoir autant d'alliés que possible pour faire face aux difficultés qu'il craignait de la part des Omayyades.

Les Réformes Envisagées par Ali

L'affaire suivante, qui fit l'objet de l'attention particulière du nouveau Calife, était la révocation des impies qui gouvernaient les différentes provinces avec une telle tyrannie que les gens avaient été acculés au désespoir, ce qui avait coûté la vie à 'Othmân. Beaucoup d'abus avaient été commis durant le règne de ce dernier, ce qui commandait une action immédiate, d'autant plus nécessaire que la plupart des gouvernements de provinces se trouvaient toujours entre les mains de personnes au passé douteux et à la foi suspecte.

Déterminé à opérer une réforme radicale, 'Alî décida de déposer Mu'âwiyeh et les autres gouverneurs qui avaient été nommés par son prédécesseur. 'Abdullâh Ibn 'Abbâs, qui venait de rentrer de son Pèlerinage à la Mecque, s'opposa fermement à cette mesure, et notamment à celle de la déposition de Mu'âwiyeh, et conseilla à 'Alî d'ajourner l'exécution de cette réforme pendant un certain temps, au moins jusqu'à ce qu'il se trouvât solidement établi sans son autorité.

Il argua: «Si tu déposes Mu'âwiyeh, les Syriens, solidement attachés à lui pour sa munificence, se révolteront contre toi tous ensemble, ne te reconnaîtront pas comme Calife, et pis, t'accuseront du meurtre de 'Othmân. Il serait donc plus sage de le laisser continuer dans ses fonctions jusqu'à ce qu'il se soumette à ton autorité, et une fois cela fait, il te sera facile de le faire sortir par les oreilles de chez lui quand tu le voudras». «En outre, rappela-t-il à 'Alî, Talhah et Zubayr ne sont pas des hommes sur qui on peut compter, et j'ai de bonnes raisons de les soupçonner de porter les armes contre toi très bientôt et de se joindre peut-être à Mu'âwiyeh».

«Mais, protesta 'Alî, la Loi Divine n'autorise pas les tromperies astucieuses. Je dois suivre strictement les principes authentiques de la Religion, et c'est pourquoi je ne dois pas permettre à une impie de rester à ce poste. Mu'âwiyeh n'aura rien d'autre que l'épée de ma part. Je ne peux le garder même pas un seul jour». «Bon! continua-t-il. Je te nomme, Ô Ibn 'Abbâs». «Cela est pratiquement impossible», s'écria ce dernier. «Mu'âwiyeh ne me laisserait pas en vie, à cause de ma parenté avec toi».

Quand les réformes avancèrent, Talhah et Zubayr vinrent voir 'Alî et posèrent leurs candidatures pour être nommés respectivement gouverneurs de Kûfa et de Basrah. Mais 'Alî refusa poliment en faisant observer que dans les circonstances présentes, et critiques, il avait besoin de bons conseillers comme eux à ses côtés.

Ayant choisi ses hommes pour le gouvernement des différentes provinces, 'Alî les envoya à leurs destinations respectives au mois de Moharram 36 H. pour remplacer les gouverneurs destitués. Ainsi, il envoya: l- 'Obaydullâh Ibn 'Abbâs au Yémen; 2- Qays Ibn Sa'd Ibn 'Obâdah en Egypte; 3- Quthâm Ibn 'Abbâs à la Mecque; 4- Samâhah Ibn 'Abbâs à Tihâmah; 5- 'Awn Ibn 'Abbâs à Yamânah; 6- 'Othmân Ibn Honayf à Basrah; 7- Ammara Ibn Chahab à Kûfa; 8- Sa'îd Ibn 'Abbâs à Bahrein; 9- Sahl Ibn Honayf en Syrie.

'Obaydullâh arriva au Yémen et s'aperçut que Ya'lâ, son prédécesseur, avait transféré vers la Mecque tout le trésor,(111) évalué à environ soixante mille dinars, qu'il céda à 'Âyechah avec six cents chameaux dont l'un était une rareté, un animal de grande taille et de bonne race, évalué à deux cents pièces d'or. Il s'appelait al-'Askar et fut spécialement offert pour l'usage personnel de 'Âyechah. 'Obaydullâh prit toutefois ses fonctions de gouverneur du Yémen.

Qays Ibn Sa'd, lorsqu'il s'approchait de l'Egypte, fut accueilli par la résistance du parti de 'Othmân, dans la garnison frontalière, mais il réussit à gagner le siège de son gouvernement en feignant devant les opposants d'être attaché à la cause de 'Othmân. Son prédécesseur, 'Abdullâh Ibn Abî Sarh, ayant acquis la certitude de sa proche révocation, avait déjà pris le chemin de la Syrie afin de se réfugier chez Mu'âwiyeh comme l'avaient fait la plupart des Omayyades depuis l'accession de 'Alî au Califat.

'Othmân Ibn Honayf, qui était allé à Basrah, y entra sans opposition, mais Ibn 'Âmir, son prédécesseur, était déjà parti avec tout le trésor pour rejoindre Talhah et Zubayr. 'Othmân occupa son poste, mais il constata que la désaffection pour 'Alî sévissait chez un grand nombre de gens.

'Ammârah, rencontra sur sa route vers Kûfa, à un relais appelé Zabala, Tulayhah et Qa'qa' qui lui conseillèrent de retourner à Médine étant donné, lui affirmèrent-ils, que les Kûftes étaient résolus à ne pas se séparer d'Abû Mûsâ al-Ach'arî qui avait été nommé selon leur propre choix par le dernier Calife. Ils l'avertirent que s'il tentait d'entrer à Kûfa, il aurait à faire face à une forte hostilité. 'Ammârah rebroussa chemin vers Médine et fît un rapport sur ce qui s'était passé au Calife.

Lorsque Sahl, le nouveau gouverneur de Syrie, arriva à Tabûk, il rencontra un groupe de cavaliers qui lui dirent que le peuple syrien réclamait vengeance pour 'Othmân et qu'il n'était pas prêt à accueillir un homme nommé par 'Alî qû il n'avait pas reconnu comme Calife. N'étant pas préparé à assurer son avance, Sahl retourna à Médine et relata les faits à 'Alî.

Le Plan des Omayyades en Vue de Soulever les Gens contre 'Alî

Entre-temps, les Omayyades, ne négligeant rien qui puisse servir à perturber 'Alî et son gouvernement, apportèrent, sur les instances d'Om Habîbah, une veuve du Prophète et la soeur de Mu'âwiyeh, la chemise tachée de sang que 'Othmân portait lors de son assassinat, ainsi que les doigts estropiés de Nâ'ilah, sa femme, à Mu'âwiyeh en Syrie où il les utilisa comme un instrument pour susciter l'esprit de vengeance chez les gens.(112) 'Amr Ibn al-'Âç, le conseiller spirituel de Mu'âwiyeh, dit à ce dernier: «Montre à l'ânesse son ânon, elle remuera ses entrailles», et Mu'âwiyeh, s'exécuta en suspendant ladite chemise, sur laquelle on avait attaché les doigts estropiés de Nâ'ilah, sur la chaire de la Mosquée de Damas. Parfois ces reliques étaient transportées au campement de l'armée. Ces objets, exposés quotidiennement aux regards, exaspéraient les Syriens qui pleuraient tellement que leurs joues et leurs barbes étaient mouillées par leurs larmes et qu'ils jurèrent de tirer vengeance des assassins de 'Othmân.

Le Défi de Mu'âwiyeh à l'Autorité de 'Alî

Lorsque Sahl retourna à Médine, 'Alî demanda à Talhah et Zubayr de rendre compte de l'étendue de la division des partis, division contre laquelle il les avait mis en garde. Ils répondirent que s'ils étaient autorisés de sortir de Médine, ils accepteraient d'être comptables de la perpétuation des troubles. 'Alî leur dit que la sédition est comme le feu, plus il brûle, plus il s'intensifie et brille, et que toutefois, il le supporterait aussi longtemps que possible, mais que s'il devenait insupportable il essaierait de l'éteindre. Il se résolut tout d'abord à écrire une lettre à Mu'âwiyeh et à Abû Mûsâ pour leur demander de présenter leur allégeance.

Abû Mûsâ lui répondit que lui et les Kûifites, à quelques exceptions près, étaient entièrement à sa disposition, mais de la part de Mu'âwiyeh aucune réponse n'était parvenue bien que plusieurs semaines se fussent écoulées. En fait, Mu'âwiyeh avait retenu le messager de 'Alî pour être témoin de l'état d'esprit de ses armées qui réclamaient à grands cris et impatiemment "vengeons le sang dé 'Othmân" et qui, étant soumises au gouverneur de Syrie, n'attendaient qu'un mot de lui pour marcher contre tous ceux qu'elles croyaient être responsables de l'assassinat du précédent Calife.

Après plusieurs semaines, Mu'âwiyeh autorisa le messager à retourner à Médine, en compagnie de son propre messager, porteur d'une lettre, sur l'enveloppe de laquelle il y avait la mention: «De Mu'âwiyeh, dès son arrivée à Médine, le messager de ce dernier accrocha la lettre en haut d'un bâton de sorte que tout le monde puisse la lire dans les rues. Etant ainsi prévenus de la désaffection de Mu'âwiyeh pour 'Alî, les gens s'assemblèrent en foule, soucieux de connaître le contenu du message. C'était juste trois mois après l'assassinat de 'Othmân que le message fut présenté à 'Alî, lequel en lut l'adresse et, enlevant le cachet, il découvrit que l'intérieur était tout blanc, ce qu'il considéra à juste titre comme un signe d'extrême confiance. Etonné par l'effronterie dédaigneuse de Mu'âwiyeh, il demanda au messager d'en expliquer l'énigme. Le messager, ayant obtenu l'assurance qu'il aurait la vie sauve, répondit: "Sache donc que j'ai laissé derrière moi en Syrie soixante mille guerriers pleurant le meurtre de 'Othmân sous sa chemise tachée de sang, exposée à côté de la chaire de la grande Mosquée de Damas, tenant tous à se venger de toi pour l'assassinat du Calife».(113)

«De moi! s'étonna 'Alî. Je fais de Dieu le témoin de mon innocence dans cette affaire. Ô mon Dieu! J'implore Ta protection contre cette fausse accusation». Puis, 'Alî déclara que seule l'épée pourrait arbitrer entre Mu'âwiyeh et lui-même, et se tournant vers Ziyâd Ibn Handhalah, qui était assis à côté de lui, il ordonna qu'une expédition contre la Syrie soit proclamée, ordre que Ziyâd communiqua rapidement aux gens.

Le Départ de Talhah et de Zubayr

Talhah et Zubayr, dont le désir de quitter Médine avait été deux fois contrecarré, et qui voyaient à présent comment les événements tournaient, devinrent soucieux d'avoir leur liberté d'action et de mouvement, liberté dont ils ne pouvaient jouir tant qu'ils restaient à Médine. Encore une fois ils vinrent voir 'Alî et lui demandèrent de les laisser partir pour la Mecque sous prétexte d'accomplir le Pèlerinage Mineur. 'Alî, qui avait compris leur véritable motivation, leur rappela leur déclaration faite librement lors de leur prestation de serment d'allégeance le jour de l'inauguration de son Califat, et les laissa partir en leur disant qu'il s'attendait à des choses étranges de leur part, et que pour cette raison il insistait pour qu'ils mettent sous serment leur sincérité.

'Alî commença la préparation de l'expédition vers la Syrie, en faisant appel à l'assistance de toutes les provinces tout en recrutant à Médine même. Mais avant d'engager le combat contre Mu'âwiyeh, il eut à faire face à une autre rébellion sérieuse, décrite en détail ci-après.

Le Plan de Rébellion de 'Âyechah

'Âyechah rencontra, sur son chemin de retour de la Mecque, Ibn Om Kalab, à Sarif. Celui-ci l'informa du meurtre de 'Othmân et de l'accession de 'Alî au Califat. En apprenant ces nouvelles, elle se mit à crier : «Ramenez-moi à la Mecque, et de répéter, Par Dieu! 'Othmân était innocent, je vengerai son sang!». Elle fut ramenée sur-le-champ à la Mecque avec sa complice Hafçah,(114) et elle commença à y propager la sédition.

Dans ses "Annals of the Early Caliphate" (pp. 351-352), Sir W. Muir fait la relation suivante de ce que fit 'Âyechah concernant cet incident: «Pendant le début de la période troublée de 'Othmân, 'Âyechah, dit-on, contribua à l'exaspération du mécontentement du peuple à son égard. Il est dit qu'elle était la complice des conspirateurs, parmi lesquels figurait son frère, Mohammad fils d'Abû Bakr, comme un des principaux chefs. Quand elle apprit la nouvelle de son assassinat, sur son chemin du retour de la Mecque, elle déclara qu'elle vengerait la mort de 'Othmân. "Quoi! s'écria son informateur, étonné par son zèle. Maintenant tu dis cela, alors que pas plus tard qu'hier tu incitais à le supprimer en tant qu'apostat?" "Oui! lui répondit-elle. Car, bien qu'il se soit repenti de ce dont les rebelles l'accusaient, ils l'ont tué". En réponse, son informateur récita des vers tendant à dire: "Tu étais la première à fomenter le mécontentement. Tu nous commandais de tuer le prince pour son apostasie, et maintenant", etc...»

En tout état de cause, on doit admettre que 'Âyechah était une femme jalouse, violente et intrigante, caractère qui explique pour beaucoup ce qui paraîtrait bizarre autrement. En réalité, 'Âyechah espérait que soit Talhah soit Zubayr succéderait à Othmân, mais à présent ayant appris, contrairement à son espérance, l'élection de 'Alî qu'elle détestait, elle était extrêmement perturbée dans son esprit et se résolut à adopter une attitude d'hostilité ouverte. Se déclarant vengeresse du sang de 'Othmân, elle persuada le grand et puissant clan des Omayyades, auquel appartenait 'Othmân, de se joindre à sa cause.

Les Omayyades qui résidaient encore à la Mecque et ceux qui s'étaient enfuis de Médine lors de l'accession de 'Alî au Califat se rassemblèrent avec empressement sous son drapeau. Les gouverneurs déposés de plusieurs provinces, entraînant avec eux facilement un grand nombre de mécontents, firent, eux aussi, les uns après les autres, cause commune avec elle. Ya'lâ, l'ex-gouverneur du Yémen lui fournit un moyen précieux de mener puissamment une guerre, en mettant à sa disposition le trésor qu'il avait emporté avec lui du Yémen.

Talhah et Zubayr Rejoignent 'Âyechah dans sa Rébellion

C'était environ quatre mois après le meurtre de 'Othmân que Talhah et Zubayr arrivèrent à la Mecque et trouvèrent que les choses avaient bien progressé. Ils avaient des liens de parenté avec 'Âyechah dont la sur cadette était une épouse de Talhah (qui était également un cousin de son père Abû Bakr) et la sur aînée une épouse de Zubayr dont le fils, 'Abdullâh, avait été adopté par 'Âyechah. Malgré leur serment d'allégeance à 'Alî - serment dont ils disaient maintenant qu'il avait été pris sous la contrainte et qu'il était donc nul d'après eux ils exprimèrent leur désir d'épouser la cause de 'Âyechah, cause qui, en cas de succès, servirait sûrement leurs intérêts. Par conséquent, ils la rejoignirent et commencèrent à travailler contre 'Alî, déclarant aux factions de la Mecque que les affaires de 'Alî se trouvaient dans des conditions bien troubles.

«'Âyechah, Talhah et Zubayr, qui avaient été toujours des ennemis de 'Othmân et qui s'étaient affirmés, en fait, comme les organisateurs de sa mort et de sa destruction, lorsqu'ils virent 'Alî, qu'ils détestaient autant sinon plus que 'Othmân, investi de la fonction de Calife, se servirent des amis réels et sincères de 'Othmân comme d'un instrument de leurs complots contre le nouveau Calife. Ainsi c'est pour des motifs très divers qu'ils se rassemblèrent tous sous le slogan de la vengeance du sang de 'Othmân». ("History of the Saracens" de Simon Ockley, p. 294).

L'étendard de la rébellion fut hissé et le discours de ces personnages distingués était écouté avec un vif intérêt par les revanchards et factieux Arabes dont les pères et frères avaient été tués par 'Alî lorsqu'il défendait le Prophète et sa cause dans les différentes batailles qui avaient opposé l'Islam naissant aux Quraych païens à l'époque du Prophète. Beaucoup d'Arabes mécontents s'assemblèrent sous l'étendard de la révolte. Le trésor détourné par Ibn 'Âmir, le gouverneur déposé de Basrah, fut utilisé par Talhah et Zubayr pour équiper leurs forces armées.

Le Conseil de Guerre

Les préparatifs de la guerre ayant été achevés, les dirigeants de la rébellion tinrent un conseil pour discuter du lieu où les opérations pourraient être menées avec succès. 'Âyechah proposa de marcher sur Médine et d'attaquer 'Alî dans sa capitale pour frapper à la racine, mais on lui objecta que le peuple de Médine était unanimement acquis à 'Alî et qu'il était trop puissant pour être défait. Quelqu'un suggéra de se diriger vers la Syrie et de mener une attaque conjointe avec les insurgés de cette province, mais Walîd Ibn 'Oqbah s'opposa fermement à cette suggestion, déclarant que Mu'âwiyeh n'approuverait pas la présence de ses supérieurs dans sa capitale, et encore moins le contrôle de ses armées par eux dans ces moments critiques, et que de plus il considérerait cela comme une ingérence dans son dessein d'accéder à l'indépendance, dessein qui l'avait en fait conduit à ne pas envoyer le secours demandé de lui en sa qualité de principal vassal de 'Othmân dont les jours qui lui restait à vivre étaient alors pourtant comptés.

A la fin, Talhah leur ayant affirmé qu'il avait un parti fort en sa faveur à Basrah, et qu'il était sûr de la reddition de cette ville, on se résolut à faire mouvement vers celle-ci. Par conséquent une proclamation par battement de tambour fut faite à travers les rues de la Mecque, annonçant que 'Âyechah, "la Mère des Croyants", accompagnée des dirigeants distingués, Talhah et Zubayr, se dirigeait personnellement vers Basrah, que tous ceux qui désiraient venger l'atroce mort du "Prince des Croyants", c'est-à-dire 'Othmân, et servir la cause de la foi, devaient se oindre à elle, même s'ils étaient sans équipement, car celui-ci leur serait fourni dès qu'ils se présenteraient.

'Âyechah Incite Om Salma

'Âyechah demanda à Om Salma - une autre "Mère des Croyants" - qui se trouvait à la Mecque pour le Pèlerinage, de l'accompagner dans son aventure, mais elle repoussa avec indignation cette demande, et demanda à 'Âyechah comment elle pouvait justifier sa violation des Commandements du Prophète en s'opposant à 'Alî qui était lui aussi Calife dûment et unanimement élu par le peuple de Médine et reconnu par les peuples de plusieurs provinces.

Et récitant cette parole du Prophète: «'Alî est mon lieutenant aussi bien de mon vivant qu'après ma mort. Quiconque lui désobéit, me désobéit du même coup», elle demanda à 'Âyechah si elle avait oui ou non entendu le Prophète prononcer cette parole. Elle répondit par l'affirmative.

Puis Om Salma lui rappela la Prédiction du Prophète, qu'il avait exprimée à l'adresse de ses femmes: «Peu après ma mort, les chiens de Hawab aboieront contre l'une de mes épouses qui sera parmi la bande rebelle. Oh! j'ai su qui elle était! Gare à toi, Ô Homayra! Je crains que ce ne soit toi».

En entendant ces démonstrations de la vérité, 'Âyechah fut alarmée. Continuant son avertissement, Om Salma dit: «Ne te laisse pas égarer par Talhah et Zubayr. Ils vont t'empêtrer dans l'erreur, mais ils ne seront pas capables de te sortir du courroux ni de la disgrâce qui te frapperont».

'Âyechah retourna à son logis presque encline à renoncer à son plan, mais les adjurations de son fils adoptif, 'Abdullâh fils de Zubayr, persuadèrent sa nature vindicative de se venger de l'homme qui s'était associé un jour au Prophète en la suspectant de la fausse accusation dont elle avait fait l'objet

«'Âyechah, faisant fi des contraintes de son sexe, se prépara à partir en campagne et à ameuter le peuple de Basrah comme elle venait de le faire avec celui de la Mecque. Hafçah, la fille de 'Omar, une autre "Mère des Croyants", fut empêchée par son frère (qui venait de s'enfuir de Médine et de se mettre à l'écart de toutes les parties) d'accompagner sa soeur de veuvage». ("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir, p. 353).

La Marche de 'Âyechah sur Basrah

A la fin, 'Âyechah monta dans une litière sur le chameau al-'Askar, et quitta la Mecque à la tête de mille volontaires dont six cents montaient des chameaux quatre cents des chevaux. Elle était accompagnée de Talhah à sa droite et Zubayr à sa gauche. Sur son chemin, beaucoup de gens se joignirent à elle, gonflant le nombre de ses combattants à trois mille hommes.

Moghîrah Ibn Cho'bah, l'ex-Gouvemeur de Basrah et de Kûfa, qui avait présidé à ces deux gouvernements à l'époque du Calife 'Omar, et Sa'îd, l'un des vétérans de la Mecque, et un Mohâjir de la première Emigration, qui accompagnaient eux aussi la chevauchée, ayant des soupçons sur les vraies motivations de Talhah et Zubayr, demandèrent à ceux-ci qui serait Calife en cas de victoire.

«Celui d'entre nous deux qui sera choisi par le peuple» fut leur réponse tout faite. «Et pourquoi pas un fils de 'Othmân?» demanda Sa'îd. «Parce que les plus âgés étant des chefs distingués et des Muhâjidn, ne doivent pas être commandés», répondirent-ils. «Mais je crois, dit Sa'îd, que si l'objet de votre campagne est de venger la mort de 'Othmân son successeur de droit doit être son propre fils. Or deux de ses fils, Obân et Walîd, sont déjà dans votre camp. Votre nomination signifierait que, sous le prétexte de vouloir venger le Calife assassiné, vous avez combattu dans votre propre intérêt». «En tout cas, répliquèrent-ils, il appartiendra aux hommes de Médine de choisir quiconque ils voudront».

Moghîrah et Sa'îd, se méfiant des dirigeants de la rébellion, décidèrent de se retirer, et en conséquence ils tournèrent leurs talons vers la Mecque avec leurs partisans qui formaient une partie de l'armée rebelle. Se tournant vers les troupes, alors qu'ils passaient près d'elles, ils s'écrièrent: «Tuez les assassins de 'Othmân, détruisez-les tous sans exception». Moghîrah cria à l'adresse de Marwân et d'autres: «Où allez-vous traquer les meurtriers? Ils sont devant vos yeux sur les bosses de leurs chameaux (en pointant son doigt vers Talhah, Zubayr et 'Âyechah). Tuez-les et retournez chez vous. Ils sont l'objet même de votre vengeance. Ils ont trempé autant que tout autre dans cette sale affaire».

L'armée continua toutefois sa marche, tout en reprenant à son compte, et à cor et à cri ce qu'elle venait d'entendre. On argua à son intention que la question de la succession était prématurée, et 'Âyechah déclara que le choix d'un successeur était le droit exclusif des Médinois et qu'il devait rester le leur comme auparavant. Et pour éviter toute inquiétude supplémentaire, elle ordonna à 'Abdullâh, le fils de Zubayr, de conduire les prières quotidiennes.

'Âyechah dans la Vallée de Hawab

Sur leur route vers Basrah, les rebelles apprirent que 'Alî, le Calife, était sorti de Médine pour les poursuivre. Pour arriver à Basrah sans interruption et sans obstacle 'Âyechah ordonna qu'on changeât de route. Quittant la route principale, ses armées s'engagèrent sur des sentiers en direction de Basrah. Pour dissiper l'ennui des longues nuits de l'automne, le guide passait son temps à chanter et occasionnellement à crier le nom de chaque vallée, désert ou village par lesquels on passait. Arrivé une nuit à un lieu déterminé, il cria: «La vallée de Hawab ».

Frappée de stupeur par ce nom, un frisson traversa tout le corps de 'Âyechah lorsque sur-le-champ les chiens du village entourèrent son chameau et se mirent à aboyer vers elle plus bruyamment. «Quel est cet endroit?» hurla-t-elle. Le guide répéta sur le même ton habituel: «La Vallée de Hawab». La prédiction du Prophète, récemment remise à sa mémoire par Om Salma, comme on vient de le noter un peu plus haut, s'empara maintenant de son esprit, et elle s'exclama en tremblant: «Innâ Lillâhi wa Innâ Ilayhî râje'ûn» (Nous appartenons à Dieu et nous devons retoumer à Lui).

Faisant agenouiller son chameau, elle descendit de sa litière et gémit en lâchant un profond soupir: «Hélas! Hélas! Je suis en fait la misérable femme de Hawab. Le Prophète m'en avait déjà prévenue». Elle déclara qu'elle ne ferait pas un pas de plus avec cette expédition de malheur.

Talhah et Zubayr la pressèrent en vain de poursuivre son voyage, en lui racontant que le guide s'était trompé de nom et que cet endroit ne s'appelait pas Hawab. Ils subornèrent même cinquante témoins pour qu'ils le jurent, mais elle ne les crut pas et refusa d'avancer.

On dit que ce fut le premier faux témoignage public survenu depuis l'avènement de l'Islam. Ainsi cette nuit-là, et toute la journée suivante, les rebelles restèrent à Hawab. Talhah et Zubayr étaient déconcertés et ne savaient pas quoi faire.

Finalement, recourant à un stratagème intelligent, ils purent mettre l'armée sur pied en criant soudainement: «Vite! Vite! 'Alî s'approche rapidement pour nous surprendre». Ce disant, ils commencèrent à détaler. 'Âyechah, frappée de terreur, tourna tout de suite les talons, trouva son chameau et entra promptement dans sa litière. La marche fut ainsi reprise.

Le Campement de 'Âyechah à Khoraybah

Dans sa hâte d'arriver à Basrah l'armée rebelle avança rapidement et, arrivant près de la ville, elle campa à Khoraybah. 'Âyechah fit venir un notable de Basrah, Ahnaf Ibn Qays, et lui demanda de rejoindre son étendard. Après quelques discussions sur le sujet, il refusa de prendre les armes contre le Calife. Mais décidé toutefois à rester neutre il quitta Basrah avec six mille partisans et campa à Wâdi-1-Saba, dans les faubourgs de Basrah.

'Âyechah envoya un message à 'Othmân Ibn Honayf, le gouvemeur de Basrah, l'invitant à venir la voir. Ibn Honayf enfila immédiatement son armure et, suivi d'un grand nombre de citoyens, se dirigea vers le campement de 'Âyechah. Mais à sa grande surprise, il trouva l'armée des insurgés déployés sur le terrain de manuvre, suivie par un grand nombre de ses concitoyens factieux qui avaient en même temps rejoint 'Âyechah pour se ranger de son côté. Des pourparlers s'engagèrent:

«Talhah et Zubayr s'adressaient alternativement aux foules, et ils furent suivis par 'Âyechah qui haranguait les gens du haut de son chameau. Sa voix, qu'elle avait élevé pour se faire entendre par tout le monde, devint stridente et aiguë, au lieu d'être intelligible, ce qui suscita l'hilarité de la foule. Une querelle éclata à propos de la justice de son appel, les différentes parties se mirent à échanger des injures, à se traiter de menteuses et à se lancer l'une contre l'autre de la poussière au visage. L'un des hommes de Basrah se tourna alors vers 'Âyechah et lui lança: "Honte à toi, Ô Mère des Croyants!" Et d'ajouter: "L'assassinat du Calife était un crime cruel, mais moins abominable que ton oubli de ta condition et de ton sexe. Pourquoi as-tu abandonné le calme de ta maison et ton voile protecteur pour monter comme un homme imberbe sur ce maudit chameau et fomenter querelles et dissensions parmi les fidèles?" Un autre homme de la foule s'écria, moqueur, aux visage de Talhah et Zubayr: "Vous avez amené votre mère avec vous. Pourquoi n'avez-vous pas amené vos femmes aussi?". Des insultes fusèrent de partout, des épées furent tirées, et des escarmouches éclatèrent, et les antagonistes se battirent jusqu'à ce que l'heure de la prière les eût séparés». ("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 172).

Les entrées de la cité étaient désormais hermétiquement fermées aux insurgés. Quelques jours passèrent, pendant lesquels des escarmouches eurent lieu, causant des pertes sérieuses aux partisans du gouverneur et permettant aux insurgés de s'implanter un peu dans la ville. Finalement une trêve fut conclue, aux termes de laquelle un messager serait envoyé à Médine pour vérifier si Talhah et Zubayr avaient prêté serment d'allégeance à 'Alî, le jour de l'inauguration de son Califat, volontairement ou sous la contrainte.

Dans le premier cas, ils devraient être traités en rebelles, et dans le second, leurs partisans à Basrah auraient raison de soutenir leur cause. Les insurgés, qui désiraient avoir une sérieuse occasion de vaincre le gouverneur et de prendre possession de la ville, acceptèrent cet arrangement pour gagner du temps. Un messager fut ainsi envoyé à Médine. Lorsqu'il délivra sa commission, tout le monde garda le silence. A la fin, Osâmah se leva et dit qu'ils avaient été contraints. Mais cette affirmation lui aurait coûté la vie sans l'intervention de son ami Sohayl, un homme d'influence et d'autorité, qui le prit sous sa protection et l'amena chez lui.

'Âyechah S'Empare de Basrah

Dans l'intervalle, les dirigeants des insurgés s'efforcèrent d'attirer Ibn Honayf, le Gouverneur de Basrah, dans leur campement en lui envoyant des messages amicaux, mais il soupçonna une tricherie derrière ces messages et s'enferma chez lui en se faisant suppléer par 'Ammâr dans son poste. Talhah et Zubayr, prenant avec eux une élite de leurs partisans, une nuit de tempête, se mêlèrent à l'assemblée des priants dans la mosquée, surprirent le gouverneur, et après avoir tué quarante hommes de sa garde, ils le firent prisonnier. Le jour suivant, Hâkim Ibn Jabalah essaya de libérer le prisonnier, mais il perdit la vie et celle de soixante-dix partisans dans cette tentative.

Une bataille sérieuse fit rage dans la ville, aboutissant à une déconfiture totale et à des pertes considérables parmi les partisans de 'Alî. 'Âyechah entra en grand apparat dans la ville, et le gouvernement de Basrah, ainsi que le Trésor, passèrent aux mains des insurgés. Peu après la capture de 'Othmân Ibn Honayf, on demanda à 'Âyechah comment elle voulait qu'on disposât de lui. Elle le condamna à mort, mais sur les instances d'une femme de sa suite elle consentit à épargner sa vie. Il fut toutefois condamné à subir des maux encore pires jusqu'à ce qu'il pût échapper à ses ravisseurs. Les poils de sa barbe, ses moustaches et ses sourcils furent arrachés un à un, et il fut honteusement exposé au pilori.

'Alî Apprend la Nouvelle de la Révolte de 'Âyechah

Le lecteur se demandera sans doute avec anxiété ce que faisait 'Alî, le Calife, pendant tout ce temps-là. Nous allons donc laisser de côté les insurgés, maintenant maîtres de Basrah, pour suivre les traces de 'Alî.

Les nouvelles des troubles survenus à la Mecque étaient parvenues à Médine. Mais 'Alî avait dit que tant qu'une action de grande envergure des insurgés n'aurait pas menacé l'unité de l'Islam, il ne prendrait pas de mesures énergiques contre eux.

Après quelques temps, Om Salma, qui avait repoussé fermement les propositions de 'Âyechah à la Mecque, comme on l'a vu plus haut, s'étant rendue à Médine rapidement après le départ des insurgés pour Basrah, avait informé 'Alî de la révolte de 'Âyechah, Talhah et Zubayr.(115) Un autre message, en provenance d'Om al-Fadhl la veuve d'al-'Abbâs, qui se trouvait à la Mecque, était parvenu également à 'Alî, faisant état des mouvements des rebelles contre le Calife et de leur marche sur Basrah.

En apprenant cette nouvelle, 'Alî avait fait rassembler les gens dans la grande Mosquée et les avait appelés aux armes pour poursuivre les rebelles. Le discours éloquent et les appels chaleureux du Calife avaient été accueillis avec froideur et apathie par l'assemblée.(116)

Personne ne paraissait prêt à répondre à l'appel, notamment parce que certains dans l'auditoire avaient pris en considération le fait que la personne contre laquelle on les pressait de prendre les armes n'était autre que la Mère des Croyants, 'Âyechah, et redoutaient une guerre civile; d'autres encore se demandaient si 'Alî n'avait pas été impliqué indirectement dans la mort de 'Othmân.

Pendant trois jours consécutifs, 'Alî fit de son mieux pour que les gens bougent et réagissent. Finalement, le troisième jour, Ziyâd Ibn Handhalah se leva et s'avança vers 'Alî en disant: «Laisse-les rester à l'arrière, moi, j'avancerai». Suivant son exemple, deux Ançâr, Abul-Hathim et Khazima Ibn Thâbit s'avancèrent en prononçant ces propos: «Le Prince des Croyants est innocent du meurtre de 'Othmân, nous devons le rejoindre». Sur-le-champ Abû Qatâda, un autre Ançârî, un homme distingué, se leva et, tirant son épée, s'exclama: «Le Messager de Dieu, que la paix soit sur lui, m'avait ceint avec cette épée. Je l'ai gardée rengainée depuis longtemps, mais à présent il est grand temps de la dégainer contre ces méchants hommes qui trompent toujours le peuple». ("History of the Saracens" de Simon Ockley, p. 300).

Même Om Salma dit avec zèle:(117) «Ô Commandeur des Croyants! Si la loi le permettait, je t'aurais accompagné dans ton expédition, mais je sais que tu ne me le permets pas. Aussi je t'offre les services de mon fils 'Omar B. Abî Salma, qui m'est plus cher que ma propre vie. Laisse-le partir avec toi pour partager vos chances». 'Alî accepta l'offre et 'Omar Ibn Abî Salma l'accompagna dans l'expédition. C'était un homme de valeur, de piété et de beaucoup d'autres qualités, et il sera nommé plus tard, gouverneur de Bahrein.

La Marche de 'Alî contre 'Âyechah

Finalement, une armée de neuf cents hommes put être levée difficilement. L'attitude froide des Médinois dans cette conjoncture critique découragea tellement 'Alî qu'il décida de ne pas revenir parmi eux et de choisir un autre endroit pour le siège de son gouvernement. Il sortit cependant à la tête de cette petite force de neuf cents hommes(118) dans l'intention de surprendre les rebelles sur leur chemin vers Basrah.

Arrivé à Rabdhah (aux abords de Najd), il constata que les insurgés étaient déjà partis et qu'ils se trouvaient bien loin devant. Bien que rejoint dans sa marche par les Banî Tay et quelques autres tribus loyales, il n'était pas suffisamment équipé pour avancer davantage. Aussi ordonna-t-il qu'on fasse halte à Thî-Q'ar (Thî-Qâr), en attendant l'arrivée de renforts de Kûfa, ville à laquelle il avait envoyé Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn Ja'far pour demander à son gouvemeur Abû Mûsâ al-Ach'arî d'inciter les gens à rejoindre leur Calife afin d'aller avec lui auprès des rebelles et d'essayer de réunir les gens divisés.

La Conduite d'Abû Mûsâ al-Ach'arî envers le Calife

Abû Mûsâ al-Ach'arî n'était pas bien disposé envers le Calife, qui avait auparavant envoyé 'Ammâr Ibn Chahab pour le remplacer, comme nous l'avons déjà vu. En outre, c'était un homme qui manquait d'enthousiasme dans l'accomplissement de ses tâches. 'Âyechah lui avait déjà écrit des lettres pour dissuader ses concitoyens de prêter serment d'allégeance à 'Alî et pour les persuader de se lever pour venger le meurtre de 'Othmân. Prenant acte du succès de 'Âyechah à Basrah, il avait déjà commencé à nuancer son allégeance à 'Alî et à défendre la cause de 'Âyechah devant les gens.

Lorsque les messagers du Calife arrivèrent à Kûfa et qu'ils délivrèrent leur message, un silence complet régna sur l'assemblée dans la mosquée. Finalement les gens demandèrent à Abû Mûsâ ce qu'il leur conseillait à propos de la demande du Calife de le rejoindre. Il répondit gravement que sortir ou rester à la maison étaient deux choses différentes. Le premier était un acte pour le monde d'ici-bas, le second pour celui de la vie future. A eux donc de choisir.

Choqués par ces propos tendancieux, les envoyés du Calife lui en firent le reproche. Ce à quoi il répondit que le serment d'allégeance envers 'Othmân l'engageait encore - tout comme il engageait encore leur maître (c'est-à-dire 'Alî) - ainsi que son peuple, lequel était déterminé à liquider les assassins du défunt Calife où qu'ils se trouvent, et que, aussi longtemps que les meurtriers resteraient tranquilles, il ne participerait à aucune expédition.(119) Il demanda à Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn Ja'far de retourner chez 'Alî pour lui répéter ce qu'il venait de leur dire.

Dans l'intervalle, 'Othmân Ibn Honayf, l'ex-Gouverneur de Basrah, se rendit à Thî-Qa'r. Il était dans un drôle d'état.(120) Le Calife le reconnut et lui dit en souriant qu'il l'avait laissé un vieil homme et qu'il revenait auprès de lui tel un jeune imberbe. En fait, 'Othmân avait eu une barbe remarquablement belle, dont la perte, doublée de la perte de ses cheveux et sourcils lui donnait une apparence étrange. Il raconta à 'Alî ses mésaventures avec les dirigeants des insurgés, et le Calife sympathisa avec lui pour les souffrances qu'il avait subies, et le réconforta en l'assurant que ses peines seraient comptées comme mérites. Puis il dit que les hommes qui avaient été les premiers à le reconnaître comme Calife, étaient aussi les premiers à abjurer leur serment d'allégeance et les premiers à se rebeller contre lui. Il s'étonna de leur soumission volontaire à Abû Bakr, 'Omar et 'Othmân, et de leur opposition à lui-même.

Aussitôt que Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn Ja'far retournèrent à Médine et rapportèrent ce qu'Abû Mûsâ avait dit, le Calife dépêcha(121) Ibn 'Abbâs et Mâlik al-Achtar à Kûfa où ils délivrèrent le message du Calife demandant l'assistance des Kûfites. Mais au lieu d'encourager ces derniers à répondre à l'appel du Calife, Abû Mûsâ leur dit:

«Frères! Les Compagnons du Prophète sont plus savants que les Non-Compagnons à propos de Dieu et de Son Prophète. Le désaccord est parmi les Compagnons qui savent mieux à qui il faut faire confiance. Vous ne devez donc pas vous mêler de leurs affaires, car le Prophète a dit une fois: "Il y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux (pour le Musulman) être couché que réveillé, réveillé qu'assis, assis que debout, debout qu'en marche, en marche que sur une monture". Rengainez donc vos épées, cassez vos arcs et déposez vos lances. Gardez tranquillement vos maisons et accueillez-y avec hospitalité les blessés jusqu'à ce que les troubles cessent. Laissez les Compagnons du Prophète se mettre tous d'accord entre eux. Vous n'avez besoin de faire la guerre contre aucun d'entre eux. Que ceux qui sont venus vous voir de Médine, retournent d'où ils sont venus».

Abû Mûsâ al-Ach'arî démis de ses Fonctions de Gouverneur de Kûfa

Lorsque Ibn 'Abbâs et Mâlik al-Achtar retournèrent à Médine et rapportèrent au Calife ce qu'avait fait Abû Mûsâ al-Ach'arî, il envoya son fils, al-Hassan, accompagné de 'Ammâr Ibn Yâcir qui avait été pendant un temps Gouverneur de Kûfa durant le règne du Calife 'Omar, et qui avait été très maltraité par la suite par le Calife 'Othmân pour ses remarques franches. Mâlik al-Achtar (un homme d'initiative et de détermination, qui exerçait une grande influence sur les Kûfites) et qui avait été irrité par les équivoques d'Abû Mûsâ lors de sa précédentes mission, suivit al-Hassan dans son voyage, en compagnie de Qardhah Ibn Ka'b al-Ançârî qui venait d'être nommé Gouverneur de Kûfa en remplacement d'Abû Mûsâ al-Ach'arî.

Abû Mûsâ les reçut tout à fait respectueusement, mais lorsqu'on demanda aux Kûfites, rassemblés dans la mosquée, leur participation à l'expédition contre les insurgés, conformément au message du Calife, il s'y opposa aussi vigoureusement qu'il l'avait fait auparavant, invoquant le même hadith, cité dans le précédent paragraphe, à savoir: «Il y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux être couché que réveillé, etc.».

'Ammâr Ibn Yâcir, le vénérable Compagnon favori du Prophète, âgé alors d'environ quatre-vingt dix ans, un soldat austère et vétéran, et à présent général de Cavalerie dans l'armée de 'Alî, ayant entendu le discours malicieux d'Abû Mûsâ, lui répliqua vivement qu'il avait fait un mauvais usage de la parole du Prophète, laquelle visait à réprimander des hommes de l'espèce d'Abû Mûsâ lui-même, qu'il valait mieux qu'ils restent couchés que réveillés, assis que debout, etc... Cependant, Abû Mûsâ persistait à décourager les gens de répondre aux propositions des envoyés de 'Alî. Un tumulte s'éleva lorsque Zayd Ibn Sihân intervint pour lire une lettre de 'Âyechah lui commandant soit de rester neutre soit de la rejoindre.(122)

Après avoir fait la lecture de cette lettre, il en sortit une autre adressée au grand public de Kûfa, leur demandant de faire de même. Après la lecture de ces deux lettres, il fit remarquer: «Le Coran et le Prophète commandent qu'elle ('Âyechah) reste tranquille chez elle, et que nous combattions jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sédition. Elle nous ordonne donc de jouer son rôle alors qu'elle a pris le nôtre pour elle». D'aucuns parmi l'assistance reprochèrent à Zayd sa remarque contre la Mère des Croyants.

Abû Mûsâ reprit son discours pour poursuivre son opposition au Calife, ce qui conduisit certains parmi les auditeurs à lui reprocher son infidélité et sa déloyauté et à l'obliger à quitter la chaire qui fut ensuite occupée par al-Hssan Ibn 'Alî. Abû Mûsâ dut quitter non seulement la chaire, mais aussi le mosquée tout de suite, quelques soldats de la garnison stationnée au palais du Gouverneur étant venus se plaindre d'avoir été battus sévèrement avec des bâtons.(123)

Il est à noter que le débat se déroulait à la mosquée, Mâlik al-Achtar avait pris avec lui un groupe de ses partisans et s'était emparé par surprise du palais du Gouverneur, et les hommes de la garnison avaient été bruyamment battus et envoyés à la mosquée pour interrompre le débat. Cette prompte action eut l'effet escompté. En outre elle rendit l'impassibilité froide de la conduite d'Abû Mûsâ tellement ridicule et méprisable que les sentiments du peuple se retournèrent immédiatement contre lui. Lorsqu'il sortit de la mosquée, il se rendit hâtivement à son palais où Mâlik lui ordonna de vider les lieux immédiatement. La foule assemblée à l'entrée était prête à piller ses biens, mais Mâlik intervint et impartit à Abû Mûsâ un délai de vingt-quatre heures pour qu'il emportât ses effets.

Al-Hassan Ibn 'Alî Réussit une Levée de Neuf Mille Kûfites

Du haut de sa chaire, al-Hassan adressa avec éloquence à l'assemblée un discours dans lequel: «il confirma l'innocence de son père en ce qui concerne l'assassinat de 'Othmân. Il dit que son père, soit avait tort, soit subissait une injustice. S'il avait tort, Dieu 1'en punirait et s'il subissait une injustice, IL lui viendrait en aide. L'affaire était donc entre les Mains du Très-Haut. Talhah et Zubayr qui avaient été les premiers à inaugurer son Califat, avaient été aussi les premiers à se retourner contre lui. Qu'avait-il donc fait, en tant que Calife, pour mériter cette opposition? Quelle injustice avait-il commise? Quelle avidité ou quel égoïsme avait-il manifestés». ("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 177).

L'éloquence d'al-Hassan eut un pouvoir réel sur l'assistance. Les chefs des tribus se dirent les uns aux autres qu'ils avaient tendu leurs mains en guise d'allégeance à 'Alî, et que ce dernier leur avait fait honneur en leur demandant d'être les arbitres dans une si importante affaire. Ils regrettèrent de n'avoir pas tenu compte des précédents messagers du Calife, ce qui avait conduit ce dernier à députer son fils pour demander leur assistance. Ils conclurent finalement qu'ils devaient obéir à leur Calife et répondre à une demande si raisonnable.

Al-Hassan leur dit qu'il allait retourner auprès de son père et que ceux qui se croyaient prêts à l'accompagner devaient le faire, alors que les autres pouvaient le suivre par voie de terre ou par bateaux. Ainsi neuf mille Kûfites(124) rejoignirent 'Alî par terre et par bateaux. En leur souhaitant la bienvenue, 'Alî leur dit: «Je vous ai fait venir ici pour être témoins entre nous et nos frères de Basrah. S'ils acceptent de se soumettre pacifiquement, c'est tout ce que nous désirons, mais s'ils persistent dans leur révolte, nous les amènerons à la réconciliation gentiment, à moins qu'ils ne se mettent à nous offenser. Pour notre part, nous ne négligerons rien qui puisse, d'une façon ou d'une autre, contribuer à un arrangement que nous devons préférer à la désolation de la guerre». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 305).

L'armée du Calife, ayant reçu des renforts de diverses régions, devint forte d'environ vingt mille hommes qui s'avancèrent vers Basrah. Pendant qu'il était stationné avec son année à Thî-Qâr, 'Alî avait écrit des lettres à 'Âyechah, Talhah et Zubayr pour les mettre en garde contre les démarches déraisonnables qu'ils avaient entreprises, et pour leur dire qu'aucun d'entre eux ne pouvait prétendre être le vengeur du sang de 'Othmân, ce dernier étant un Omayyade, alors qu'aucun d'eux n'appartenait aux Banî 'Omayyah.(125)

'Âyechah avait répondu que les choses étaient arrivées à un point où les avertissements n'avaient plus aucune utilité, alors que Talhah et Zubayr ne donnèrent pas de réponse écrite, se contentant de faire parvenir à 'Alî un mot pour l'informer qu'ils n'étaient pas disposés à obéir à ses ordres et qu'il avait toute la liberté de faire ce qu'il voulait.

L'Arrivée de 'Alî à Basrah

L'armée de 'Âyechah comptait trente mille hommes dont la plupart étaient de nouvelles recrues, alors que celle de 'Alî se composait principalement de vétérans, d'hommes ayant déjà servi dans les forces armées, et de Compagnons du Prophète. Lorsque 'Alî apparut avec ses forces armées déployées en un imposant ordre de bataille devant Basrah, 'Âyechah et ses confédérés furent frappés de terreur. Une fois proche de Basrah, 'Alî envoya Qa'qâ' Ibn 'Amr, un Compagnon du Prophète, aux dirigeants des rebelles en vue de négocier avec eux un plan de paix,(126) si possible.

'Âyechah répondit que 'Alî devait négocier personnellement avec eux. Lorsque 'Alî arriva, des messages circulèrent dans les rangs des forces hostiles en vue de compromettre la négociation.(127) On voyait 'Alî, Talhah et Zubayr tenir de longues conversations, faisant le va-et-vient ensemble à la vue des deux armées, et les négociations paraissaient tellement dans la bonne voie que tout le monde pensa qu'on allait aboutir sûrement à un arrangement pacifique; car par son impressionnante éloquence, 'Alî toucha les curs de Talhah et de Zubayr en les mettant en garde contre le jugement du Ciel et en les défiant à une ordalie où l'on invoquerait la malédiction divine contre ceux qui avaient encouragé et suggéré le meurtre de 'Othmân et incité les malfaiteurs à le commettre.

Au cours de l'un de leurs entretiens, 'Alî demanda à Zubayr: «As-tu oublié le jour où le Messager de Dieu t'avait demandé si tu n'aimais pas son cher "fils" 'Alî et où tu lui as répondu: "Si". Ne te rappelles-tu pas cette prédiction du Prophète: "Cependant, il arrivera un jour où tu te soulèveras contre lui et où tu apporteras des misères à lui et à tous les Musulmans"».

Zubayr répondit qu'il s'en souvenait parfaitement, qu'il se sentait désolé, que s'il s'en était souvenu auparavant, il n'aurait jamais porté les armes contre lui. Zubayr semblait donc déterminé à ne pas se battre contre 'Alî. Il retourna à son camp et informa 'Âyechah de ce qui s'était passé entre lui et 'Alî.

«On dit qu'à la suite de cette allusion à la prédiction du Prophète, Zubayr renonça à combattre contre 'Alî, mais malgré ladite prédiction prophétique, 'Âyechah était si pleine de haine contre 'Alî qu'elle ne pouvait accepter aucun arrangement, à n'importe quelle condition. D'autres disent que c'est le fils de Zubayr, 'Abdullâh (adopté par 'Âyechah) qui l'avait fait changer d'avis en lui demandant si c'était la peur des troupes de 'Alî qui l'avait conduit à cette volte-face. A ceci Zubayr répondit "Non mais le serment prêté à 'Alî". 'Abdullâh lui suggéra alors d'expier son serment en libérant un esclave, ce qui l'amena à se préparer sans plus d'hésitation à combattre contre 'Alî». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 307).

Les deux armées étaient face à face sur le même champ de bataille. Durant la nuit chaque partie chargea l'autre, les deux parties s'accusant mutuellement d'avoir ouvert les hostilités. Le lecteur pourra lui-même déduire quelle est la partie à blâmer pour cette attaque nocturne, quelle partie essayait d'arriver à un arrangement pacifique pour éviter l'effusion de sang et laquelle mettait en échec ces tentatives de paix. Les circonstances relatées ci-dessus sont assez claires pour éclairer et indiquer la vérité.

La Bataille d'Al-Jamal (du Chameau)

Le lendemain matin, tôt, le vendredi 16 Jamâdî II de l'an 36 H. (Nov., 656 ap. J. -C.), 'Âyechah entra dans le champ de bataille, assise dans une litière sur son grand chameau, al-'Askar. Elle fit l'inspection de ses troupes, qu'elle animait par sa présence et par sa voix. Dans l'histoire, cette bataille fut appelée "La Bataille du Chameau", en raison de la présence de la bête étrange sur laquelle était montée 'Âyechah, et ce, bien qu'elle fût livrée à Khoraybah, près de Basrah.

L'armée de 'Alî faisait face à l'ennemi en ordre de bataille, mais le Calife avait ordonné à ses combattants de ne charger que si l'ennemi les attaquait le premier. En outre, il leur donna l'ordre strict de ne jamais achever un blessé, de ne jamais poursuivre un fuyard, de ne pas s'emparer de butin et de ne jamais violer une maison. Et alors qu'une pluie de flèches lancées par l'ennemi tombait sur les troupes de 'Alî, celui-ci ordonna à ses soldats de ne pas rpondre au tir et d'attendre.

«Jusqu'au dernier moment 'Alî fit preuve d'une répugnance implacable à l'effusion du sang de Musulmans, et juste avant la bataille il s'efforçait encore d'obtenir l'allégeance de l'adversaire par un appel solennel au Coran. Une personne, nommée Muslim, s'avança alors immédiatement, levant un exemplaire du Coran dans sa main droite. Muslim se mit à fustiger l'ennemi pour l'amener à renoncer à ses desseins injustifiés. Mais la main qui portait le Livre Sacré fut coupée par un soldat de l'armée ennemie. Il porta alors le Coran dans sa main gauche, mais celle-ci fut à son tour coupée par un autre cimeterre. L'homme ne fut pas pour autant découragé, et il serra le Coran contre sa poitrine avec ses bras mutilés, continuant ses exhortations jusqu'à ce qu'il fût achevé par les sabres de l'ennemi. Son corps fut par la suite récupéré par ses amis et des prières furent faites sur lui par 'Alî lui-même. Le Calife ramassa ensuite une poignée de sable, la lança en direction des insurgés, invoquant contre eux la vengeance de Dieu. En même temps, l'impétuosité des hommes de 'Alî ne pouvait être retenue plus longtemps. Tirant leurs sabres et pointant leurs lances, ils se lancèrent vaillamment dans le combat qui fut livré de tous côtés avec une férocité et une animosité extraordinaires». ("Mohammadan History" de M. Price, cité par S. Ockley, op. cit., p. 308).

Le Sort de Talhah

Alors que la bataille faisait rage et que la victoire commençait à pencher du côté de 'Alî, Marwân Ibn al-Hakm (le Secrétaire Particulier du précédent Calife, 'Othmân), l'un des officiers de l'armée de 'Âyechah, remarqua que Talhah incitait ses troupes à se battre vaillamment.(128) «Voyez ce traître! dit-il à son serviteur. Tout récemment encore, il était l'un des assassins du vieux Calife. Et le voilà qui prétend être le vengeur de son sang. Quelle plaisanterie!» Ce disant, il tira dans un accès de haine et de furie une flèche qui perça sa jambe droite et la traversa pour toucher son cheval qui se cabra et jeta le cavalier par terre.

En ce moment d'angoisse, Talhah s'écria: «Ô mon Dieu! Venge 'Othmân sur moi selon Ta Volonté», avant d'appeler au secours. Constatant que ses chaussures ruisselaient de sang, il demanda à l'un de ses hommes de le ramasser, de le faire monter sur son cheval, derrière lui, et de le convoyer à Basrah. Et sentant sa fin proche, il appela l'un des hommes de 'Alî qui se trouvait là par hasard: «Donne-moi ta main, dit le mourant repentant, afin que j'y pose la mienne en guise de renouvellement de mon serment d'allégeance à 'Alî». Talhah rendit son dernier soupir en prononçant ces mots de repentir.

Lorsque 'Alî entendit le récit de sa mort, son cur généreux fut touché, et il dit: «Allâh ne voulait pas l'appeler au Ciel avant d'effacer sa première violation de serment par ce dernier serment de fidélité». Le fils de Talhah, Mohammad, fut lui aussi tué dans cette bataille.

Le Sort de Zubayr

Les remords et la componction avaient envahi le cur de Zubayr après avoir écouté le rappel par 'Alî de la prédiction du Prophète. Il ne fait pas de doute qu'il avait participé à la bataille sur l'instance de 'Âyechah et de son fils et à contre-coeur. Par la suite, il avait vu 'Ammâr Ibn Yâcir,(129) le vénérable et vieux Compagnon du Prophète, connu pour sa probité et son intégrité, être un Général dans l'armée de 'Alî. Il s'était rappelé alors avoir entendu de la bouche du Prophète que 'Ammâr serait toujours du côté des partisans de la justice et du bon droit et qu'il tomberait sous les sabres de mauvais rebelles. Tout avait semblé donc être de mauvais augure pour participer à cette bataille. Aussi se retira-t-il du champ de bataille et prit-il le chemin de la Mecque tout seul.

Lorsqu'il arriva à la vallée traversée par le ruisseau de Saba, où Ahnaf Ibn Qays avait campé avec une horde d'Arabes dans l'attente de l'issue du combat, il fut reconnu de loin par Ahnaf. «Personne ne peut-il m'apporter des nouvelles de Zubayr?» dit-il à l'adresse de ses hommes. L'un de ceux-ci, 'Amr Ibn Jarmuz, comprit l'insinuation et se mit en route. Zubayr voyant cet homme s'approcher, le soupçonna de mauvaises intentions à son égard. Aussi lui ordonna-t-il de rester à distance. Mais après avoir échangé quelques paroles, ils devinrent amis et tous deux descendirent de leurs chevaux pour faire la Prière, étant donné qu'il en était l'heure. Lorsque Zubayr se prosterna en accomplissant sa Prière, 'Amr saisit l'occasion et coupa sa tête avec son cimeterre.

Il apporta sa tête à 'Alî qui pleura à la vue de cette tête. Car il s'agissait de la tête de quelqu'un qui avait été son ami. Se tournant vers l'homme qui lui avait apporté ce cadeau macabre, il s'écria, indigné: «Va-t-en maudit. Apporte tes nouvelles à Ibn Safiyah en enfer». Cette malédiction inattendue enragea le misérable qui s'attendait plutôt à une récompense, et il proféra une bordée d'injures à l'adresse de 'Alî. Puis, dans un accès de désespoir, il dégaina son sabre et l'enfonça dans son propre cur.

La Défaite de 'Âyechah

Tel fut donc le sort des deux grands dirigeants des rebelles. Quant à 'Âyechah, l'implacable âme de la révolte, la femme de guerre, elle continua à hurler inlassablement de sa voix stridente: «Tuez les assassins de 'Othmân», incitant ses hommes à se battre. Mais les troupes, privées de leurs dirigeants, s'étaient senties déjà démoralisées et avaient commencé à retourner à la ville.

Toutefois, voyant que 'Âyechah était en danger, ses partisans arrêtèrent leur fuite et revinrent à son secours. Se rassemblant autour de son chameau, ils essayèrent l'un après l'autre d'en saisir la bride et de prendre l'etendard, mais ils furent abattus à tour de rôle. Ainsi soixante-dix hommes périrent par la bride de cet animal maudit. La litière de 'Âyechah, en tôle d'acier et construite comme une cage, était hérissée de dards et de flèches, et sur la bosse de l'énorme bête, elle ressemblait à un hérisson effrayant et en colère.

«Convaincu que la bataille ne pourrait être interrompue aussi longtemps que le chameau continuerait à s'amuser de la sorte avec les défenseurs de 'Âyechah, 'Alî exprima aux hommes qui l'entouraient son désir de les voir s'efforcer de terrasser l'animal. Après plusieurs assauts désespérants, Mâlik al-Achtar réussit enfin à forcer un passage et à casser l'une des pattes du chameau. Mais malgré cela, l'animal resta debout et impassible, et persévéra dans son attitude. Une autre patte fut brisée, mais sans résultat. Mâlik al-Achtar, étonné et terrifié par le comportement du chameau ne savait pas s'il devait continuer ou non. 'Alî s'approcha et lui demanda de frapper sans hésitation même si l'animal paraissait bénéficier du soutien d'un agent surnaturel. Stimulé, Mâlik frappa la troisième patte et l'animal fut immédiatement terrassé.

»La litière de 'Âyechah étant maintenant à terre, 'Alî ordonna à Mohammad, fils d'Abû Bakr, de se charger de sa soeur et de la protéger des flèches qui continuaient à tomber de partout. Mohammad s'exécuta, s'approcha de la litière, et y introduisant sa main qui toucha par hasard celle de 'Âyechah, il entendit cette dernière l'accabler d'insultes et crier, interrogative, quel vaurien osait toucher sa main que personne d'autre que le Prophète n'avait l'autorisation de toucher. Mohammad répondit que bien que cette main fût celle de la personne la plus proche d'elle par le sang, elle était aussi celle de son pire ennemi. Reconnaissant alors la voix bien connue de son frère, 'Âyechah se défit rapidement de ses appréhensions». ("Mohammadan History" de M. Price, cité par S. Ockley, op. cit., p. 310).

La Magnanimité de 'Alî envers l'ennemi

«'Âyechah pouvait s'attendre logiquement à un traitement sévère de la part de 'Alî, étant donné qu'elle était son ennemie vindicative et acharnée, mais 'Alî était trop magnanime pour se venger d'un adversaire vaincu». ("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 179).

Une fois que toutes les confusions liées à la bataille se furent estompées, 'Alî vint voir 'Âyechah et lui demanda comment elle allait. Ayant constaté qu'elle allait bien et qu'elle avait été sauvée sans subir aucun mal, il lui dit sur un ton de reproche: «Le Prophète aurait-il accepté que tu agisses ainsi?» Elle répondit: «Tu es victorieux. Sois donc bon envers ton adversaire vaincu». 'Alî ne lui fit plus de reproches et ordonna à son frère Mohammad d'emmener sa sur à la maison de 'Abdullâh Ibn Khalaf, un Khozâ'ite, notable citoyen de Basrah, tué alors qu'il combattait pour 'Âyechah. Celle-ci demanda à son frère de chercher les traces de 'Abdullâh, fils de Zubayr, qu'on trouvera par la suite, blessé, parmi les morts et les blessés qui jonchaient le champ de bataille.

Selon le désir de 'Âyechah il fut amené devant 'Alî pour obtenir son pardon. Le très généreux vainqueur promulgua alors avec magnanimité une amnistie générale pour tous les rebelles et leurs alliés, y compris 'Abdullâh Ibn Zubayr. Malgré toutes ces mesures de clémence, Marwân et les Omayyades s'enfuirent chez Mu'âwiyeh en Syrie, ou à la Mecque.

Le Carnage dans la Bataille

Les pertes dans cette bataille furent très lourdes. Certains historiens(130) avancent le chiffre de seize mille sept cent quatre-vingt-seize tués parmi les hommes de 'Âyechah et de mille soixante-dix parmi ceux de 'Alî. D'autres(131) parlent de dix mille tués parmi les partisans de 'Âyechah et cinq mille parmi ceux de 'Alî. En tout état de cause, les cadavres jonchaient le champ de bataille. Une fosse fut creusée dans laquelle furent enterrés sur ordre du Calife aussi bien les partisans que les adversaires tués dans les combats.

La Retraite de 'Âyechah

Lorsque le calme fut revenu, 'Alî envoya 'Abdullâh Ibn 'Abbâs pour demander à 'Âyechah de partir pour Médine,(132) mais elle déclina l'offre, insistant sur le fait qu'elle ne voulait pas aller dans un endroit où il y avait des Hâchimites. Quelques propos de reproches furent échangés entre l'émissaire de 'Alî et 'Âyechah, et le premier revint auprès du Calife pour lui signifier son refus. Mâlik al-Achtar fut envoyé alors avec la même mission, mais il échoua lui aussi dans sa tentative de la persuader d'accepter l'offre du Calife. Puis 'Alî lui-même alla la voir et lui dit qu'elle avait le devoir de rester tranquille à sa maison où elle devait aller maintenant afin de retrouver le gîte dans lequel le Prophète l'avait laissée, et d'oublier le passé. «Que Dieu te pardonne, ajouta-t-il, pour ce que tu as fait, et qu'IL te couvre de Sa Clémence». Mais 'Âyechah ne prêta pas attention à la parole de 'Alî.

Ce dernier lui envoya enfin, son fils al-Hassan(133) pour l'avertir que si elle persistait dans son refus de regagner son foyer à Médine, elle serait traitée de la façon qu'elle connaissait bien. Lorsqu'al-Hassan arriva, elle était en train de se coiffer, mais ayant entendu le message, elle fut si embarrassée qu'elle laissa ses cheveux à moitié coiffés, se leva tout de suite et donna l'ordre de se préparer immédiatement en vue de voyager. Après le départ d'al-Hassan les dames de la maison lui demandèrent ce que ce garçon avait de particulier qui l'avait mise si mal à l'aise alors qu'elle n'avait pas hésité auparavant à repousser la proposition de Ibn 'Abbâs, Mâlik al-Achtar et même de 'Alî lui-même. 'Âyechah raconta alors comment le Prophète avait donné à 'Alî le pouvoir de prononcer lui-même le divorce des femmes du Prophète aussi bien de son vivant qu'après sa mort.

«Al-Hassan, dit-elle, était porteur de ce message d'avertissement de 'Alî» qui lui faisait valoir son autorité, ce qui l'avait mise si mal à l'aise. 'Alî fit alors les arrangements convenables pour le voyage de 'Âyechah et ordonna à ses deux fils, al-Hassan et al-Hussayn, de l'escorter pendant une étape, et il l'accompagna lui-même jusqu'à une certaine distance.

»Sur ordre de 'Alî, 'Âyechah fut escortée par une suite de femmes (quarante ou soixante-dix), déguisées en hommes, dont l'approche familière fit l'objet de plaintes constantes. Mais une fois arrivée à Médine, 'Âyechah découvrit la délicatesse de la ruse et devint aussi généreuse, dans sa reconnaissance, qu'elle l'avait été auparavant dans ses reproches». ("Mohammadan History" de Price, cité par S. Ockley, op. cit., p. 310).

Les Butins de Guerre

Comme il a été mentionné plus haut, 'Alî avait interdit à ses armées tout pillage.

«Ainsi, les ordres de 'Alî concernant l'interdiction du pillage avaient été respectés avec un tel scrupule que tout ce qu'on avait trouvé sur le champ de bataille ou dans le camp de l'ennemi fut rassemblé dans la grande mosquée, de sorte que chacun pouvait réclamer la restitution de son bien. Aux mécontents qui se plaignaient de n'avoir pas la permission de puiser dans le butin, 'Alî répondit que les droits de la guerre avaient duré aussi longtemps que les rangs étaient en ordre de bataille, les uns face aux autres, et que tout de suite après leur soumission, les insurgés avaient recouvré leurs droits et privilèges de frères Musulmans. Une fois entré dans la ville, il divisa le contenu du trésor parmi les troupes qui avaient combattu pour lui, tout en leur promettant une récompense encore plus grande lorsque Dieu aurait fait délivrer la Syrie». ("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir, p. 366).

Le Transfert du Siège du Gouvernement

Le séjour de 'Alî à Basrah ne dura pas longtemps. Après avoir nommé 'Abdullâh Ibn 'Abbâs Gouverneur de cette ville, le Calife repartit pour Kûfa au mois de Rajab de l'an 36 H. Craignant les mauvais desseins de Mu'âwiyeh à son égard, le Calife considéra Kûfa comme un lieu bien situé pour faire face à toute attaque contre la région de l'Irak ou de la Mésopotamie. Peut-être aussi en reconnaissance de l'assistance qu'il avait reçue de la part des Irakiens, il estima bon de transférer de Médine à Kûfa le siège de son gouvernement. Il fit ainsi de cette ville le centre de l'Islam et la capitale de l'Empire, et c'était d'autant plus à bon escient que Kûfa était géographiquement au centre de ses provinces.

La Zone de Domination de 'Alî

La conspiration de 'Âyechah, Talhah et Zubayr ayant fait long feu sur le champ de bataille de Khoraybah, 'Alî jouit d'une victoire qui lui assurait désormais une domination totale sur un territoire s'étendant du Khorâsân à l'est à l'Egypte à l'ouest, à l'exception des provinces situées au nord-ouest de l'Arabie, lesquelles étaient sous l'influence du gouverneur de Syrie, Mu'âwiyeh.

Les Activités Préliminaires de Mu'âwiyeh

Nous avons déjà noté que pendant son séjour à Médine, à l'occasion de sa visite au Calife 'Othmân, Mu'âwiyeh avait demandé un jour à Ka'b al-Ahbar de prédire comment les troubles actuels contre 'Othmân se termineraient. Ka'b avait prédit que 'Othmân serait assassiné et qu'après une longue course la Mule Grise (c'est-à-dire Mu'âwiyeh) réussirait à s'emparer du pouvoir. Confiant dans cette prédiction, Mu'âwiyeh cherchait les occasions susceptibles de le mener à l'autorité suprême et n'omettait jamais de faire le nécessaire pour réaliser cet objectif qu'il ne perdra jamais de vue dans toutes les actions qu'il entreprendra.

Et c'est par rapport à cet objectif qu'il faut comprendre pourquoi Mu'âwiyeh ne s'était pas empressé d'envoyer le secours(134) demandé par 'Othmân lorsque celui-ci avait été assiégé, pourquoi, une fois 'Othmân assassiné, il s'était attaché à inciter les Syriens à venger son sang en exhibant du haut de sa chaire la chemise ensanglantée du Calife assassinée, pourquoi il avait retenu pendant longtemps le messager de 'Alî et évité de donner une réponse définitive à sa demande de lui faire son allégeance, espérant ainsi que l'esprit de révolte ne tarderait pas à se répandre parmi les Syriens, pourquoi il avait rassemblé autour de lui tous les notables en disgrâce, tels que 'Obaydullâh (le fils du Calife 'Omar, le meurtrier qui avait fui, de peur d'être traduit en justice devant 'Alî),(135) 'Abdullâh Ibn Abî Sarh (l'ex Gouverneur d'Egypte, qui avait été révoqué lorsque 'Alî avait accédé au Califat), Marwân (le Secrétaire et le mauvais génie du Calife 'Othmân), ainsi que presque tous les proches partisans de ce Calife, et les Omayyades qui avaient fui chez lui après la défaite de 'Âyechah à Basrah, pourquoi il s'était assuré l'alliance de 'Amr Ibn al-'Âç, le conquérant de l'Egypte et l'ex-Gouverneur de ce pays, maintenant résidant en Palestine en tant que propriétaire, mais aussi en tant que contestataire (ayant obtenu l'assurance de Mu'âwiyeh de reprendre son poste de gouverneur de ce pays en contrepartie de sa coopération en vue de la déposition de 'Alî, il prêta serment d'allégeance à Mu'âwiyeh, le reconnaissant comme le Calife légal en présence de toute l'armée, laquelle lui emboîta le pas, et fut suivie par le grand public de la Syrie, qui se joignit à cette cérémonie d'acclamation),(136) pourquoi il avait cherché l'allégeance(137) de nombreux Compagnons distingués du Prophète, tels que Sa'd Ibn Abî Waqqâç, 'Abdullâh Ibn 'Omar, Osâmah Ibn Zayd, Mohammad Ibn Maslamah qui s'étaient fait remarquer par leur non-prestation de serment d'allégeance à 'Alî lors de l'inauguration de son Califat, mais qui avaient rejeté également la sollicitation de Mu'âwiyeh et lui avaient écrit des lettres de reproches, choisissant ainsi, de rester à l'écart des deux parties (à cette époque, Abû Horayrah, Abû al-Dardâ', Abû Osâmah al-Bâhilî et No'mân Ibn Bachîr al-Ançârî étaient les seuls Compagnons du Prophète en service auprès de la Cour de Mu'âwiyeh), pourquoi, étant pendant plus de vingt ans le Gouverneur de cette riche province de Syrie et ayant adopté une politique clairvoyante depuis le tout début, comme nous l'avons déjà noté, il avait amassé un immense trésor et préparé une puissante armée qui lui était totalement inféodée.

Maintenant, les préjugés tendant à impliquer 'Alî dans l'assassinat de 'Othmân, qu'il avait inculqués perfidement aux Syriens en général et à l'armée en particulier, militaient en sa faveur. La chemise tachée du sang de 'Othmân pendait encore sur la chaire dans la grande mosquée de Damas, et les gens, enflammés par la vue de cet objet macabre, sanglotaient à chaudes larmes et criaient vengeance contre les meurtriers et leurs protecteurs. Tel était le terrible adversaire à qui 'Alî avait affaire après en avoir fini avec 'Âyechah, Talhah et Zubayr.

La Marche de 'Alî vers la Frontière Syrienne

Ayant été mis au courant de toutes ces agitations en Syrie, 'Alî essaya une fois de plus (en Cha'bân 36 H., soit Janvier 657 ap. J. -C.) de recourir aux moyens pacifiques pour régler la situation, en envoyant à Mu'âwiyeh un chef des Banî Bajila , nommé Jarîr, Gouverneur de Hamadân, qui se trouvait à ce moment-là à Kûfa à la suite de la convocation qu'il avait reçue pour prêter serment d'allégeance au nouveau Calife. Il était connu pour ses relations amicales avec Mu'âwiyeh. Son retour à Kûfa se fit attendre avec angoisse. Finalement, il y revint, après trois mois d'absence, porteur d'un message oral de Mu'âwiyeh, selon lequel ce dernier ne pourrait faire son allégeance que si les meurtriers de 'Othmân étaient punis.

Mâlik al-Achtar accusa le messager d'avoir perdu son temps à prendre du plaisir en compagnie de Mu'âwiyeh, lequel le retint intentionnellement aussi longtemps que possible afin d'achever l'élaboration de ses plans d'hostilité. Prétendant être offensé par cette imputation, Jarîr quitta Kûfa et réjoignit Mu'âwiyeh.

Constatant qu'il n'y avait aucun espoir à ramener Mu'âwiyeh à la raison, 'Alî se résolut à marcher sur la Syrie sans plus attendre. Au mois de Thilqa'dah, 36 H. (soit en Avril 657 ap. J. -C.) il envoya un détachement comme garde avancée pour le rencontrer à Riqqah, alors qu'il se dirigeait, avec son armée vers Madâ'in. De là, il dépêcha un contingent, et marcha à travers le désert mésopotamien.

La Source Miraculeuse dans le Désert Mésopotamien

Sur sa route, il dut faire halte à un endroit, où il n'y avait pas d'eau disponible, et le manque s'en fit profondément ressentir par l'armée. Un ermite chrétien qui vivait dans une grotte près du campement de l'armée fut appelé, et on lui demanda de trouver un puits. Il assura à 'Alî qu'il n'y avait pas de puits à proximité, mais un simple réservoir ne contenant pas plus de trois seaux d'eau de pluie.

'Alî lui dit alors: «Je sais pourtant que certains des Prophètes de Banî Isrâ'îl des époques reculées ont fixé leur demeure à cet endroit, et creusé un puits pour leur réserve d'eau». L'ermite répondit que lui aussi en avait entendu parler, mais que le puits avait été rebouché depuis bien longtemps, qu'il n'en restait aucune trace, et que selon une vieille tradition, personne si ce n'était un prophète ou quelqu'un d'envoyé par un prophète, ne le découvrirait ni ne l'ouvrirait.

«Puis, dit la tradition arabe, il présenta un rouleau de parchemin sur lequel Simeon Ibn Çafâ (Simon Cephos), l'un des plus grands apôtres de Jésus-Christ, avait écrit la prédiction de la venue de Mohammad, le dernier des Prophètes, et la découverte et la réouverture de ce puits par son héritier et successeur légal.(138) 'Alî écouta attentivement cette prédiction, puis se tournant vers ses accompagnateurs et pointant son doigt sur un endroit précis, leur dit: "Creusez ici". Ils s'exécutèrent et après quelque temps de creusement ils heurtèrent une énorme pierre qu'ils déplacèrent avec beaucoup de difficultés pour découvrir le puits miraculeux qui fournit à l'armée une provision bien opportune, ainsi que la preuve de la légitimité du Califat de 'Alî. Le vénérable ermite fut complètement convaincu, se jeta aux pieds de 'Alî et embrassa ses genoux, et il ne le quitta plus jamais à l'avenir». ("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 180).

Après avoir remercié Dieu et pris suffisamment d'eau pour l'année, 'Alî se remit en route. Traversant le désert mésopotamien, il arriva à Riqqah, aux bords de l'Euphrate. Un pont de bateaux fut installé et l'armée traversa le fleuve, puis s'avança vers l'ouest où elle rencontra l'avant-poste syrien à Sour-al-Rûm. Après quelques escarmouches entre les avant-gardes des deux armées, l'ennemi prit la fuite et l'armée de 'Alî poursuivit son avance pour arriver à un point où elle était en vue du principal corps des forces de Mu'âwiyeh, déjà stationnées à Çiffîn. (Mois de Thilhaj, 36 H., soit Mai 657 ap. J. -C.).

Le Campement de 'Alî à Çiffîn

Dans les lignes suivantes, le Major Price nous relate les circonstances du début de la guerre opposant Mu'âwiyeh au Calife 'Alî:

«Etant donné que Çiffîn commandait, jusqu'à une longue distance, le seul accès à l'eau de l'Euphrate, Mu'âwiyeh avait placé Abul-Awr, l'un de ses Généraux, à la tête de dix mille combattants, à cet endroit, afin de fermer cet accès aux troupes de 'Alî. Pas très longtemps après l'occupation par l'armée rebelle de cette position avantageuse, 'Alî arriva au même endroit et fit camper son année à proximité. Ses hommes découvrirent rapidement que la source prévue de leur approvisionnement en eau leur était interdite d'accès.

»'Alî envoya alors une délégation à Mu'âwiyeh pour lui demander de renoncer à un avantage inadmissible entre gens liés par des liens de parenté, même lorsqu'ils se trouvaient en état d'hostilités, lui assurant que s'il avait eu lui-même cet accès sous son contrôle, il l'aurait mis à la disposition des deux armées sur un pied d'égalité. Mu'âwiyeh fit connaître immédiatement le contenu du message à ses courtisans dont la plupart dirent qu'étant donné que les meurtriers de 'Othmân avait coupé tous les approvisionnements en eau du palais de 'Othmân, ce ne serait que justice, s'ils subissaient maintenant le même traitement.

»'Amr Ibn al-'Âç était toutefois d'un avis différent, déclarant que 'Alî, de toute façon ne laisserait pas mourir de soif son armée alors qu'il avait derrière lui les légions de guerriers de l'Irak et devant lui l'eau de l'Euphrate, et ajoutant, pour conclure, qu'en fin de compte, on n'était pas là pour se battre pour une outre d'eau, mais pour le Califat. Cependant le premier avis l'emporta et la délégation fut renvoyée avec le message suivant: "Mu'âwiyeh était résolu à ne pas renoncer à ce qu'il considérait comme étant la garantie de la future victoire".

»Cet interdiction d'accès à l'eau vexa beaucoup 'Alî et le laissa perplexe quant à la mesure à entreprendre, et ce jusqu'à ce que la privation d'eau devint insupportable et que Mâlik al-Achtar et Ach'ath, fils de Qays le prièrent de les autoriser à ouvrir la voie d'accès à l'eau par la force. Cette autorisation ayant été donnée et une proclamation dans ce sens ayant été faite dans le camp, dix mille hommes se rassemblèrent en moins d'une heure derrière l'étendard de Mâlik al-Achtar, et dix mille autres autour de la tente d'al-Ach'ath.

»Disposant leurs troupes respectives dans un ordre convenable, les deux commandants conduisirent leurs deux armées en direction du lit de l'Euphrate et, après avoir averti vainement Abul-Awr de la nécessité de dégager la rive du fleuve, Mâlik, à la tête de la cavalerie, et Ach'ath à la tête de l'infanterie, se refermèrent sur l'ennemi. Pendant l'action qui suivit, Mâlik était presque exténué par la soif et l'effort, lorsqu'un soldat qui se trouvait à côté de lui, le pria d'accepter de lui une gorgée d'eau. Mais le généreux guerrier refusa de s'abreuver avant d'avoir soulagé les souffrances de ses hommes. En même temps, étant attaqué par l'ennemi, il tua sept de ses plus courageux soldats. Mais la soif épuisante de Mâlik et de ses troupes devint à la longue insupportable. Aussi ordonna-t-il à tous ceux qui portaient des outres à eau de le suivre à travers les rangs de l'ennemi et de ne le quitter qu'une fois qu'ils auraient rempli leurs récipients. Perçant la ligne de l'adversaire, Mâlik se dirigea directement vers le fleuve, où ceux qui le suivaient s'approvisionnèrent en eau.

»Dans le fit de l'Euphrate une bataille fit rage, et Abul-Awr, constatant que ses troupes fuyaient devant l'attaque irrésistible de leurs assaillants, et ayant perdu sa position, dépêcha un messager à Mu'âwiyeh, lequel envoya immédiatement à son secours 'Amr Ibn al-'Âç avec trois mille cavaliers. L'arrivée de ce général semble cependant avoir rendu la victoire de Mâlik plus proche. En effet, dès que ce dernier eut appris l'approche de 'Amr, il se couvrit de son bouclier et poussa son cheval vers lui avec une impétuosité irrésistible. 'Amr ne put esquiver la fureur de son adversaire qu'en se retirant vers les rangs des Syriens. Mais beaucoup de ceux-ci furent soumis à l'épée et un grand nombre d'entre eux furent jetés dans le fleuve, alors que le reste fuyait pour chercher refuge dans le camp de Mu'âwiyeh.

»Les troupes de 'Alî ayant réussi à déloger l'ennemi, s'installèrent tranquillement dans cette ville d'eau et dans ses environs. Avalant amèrement les reproches de 'Amr, Mu'âwiyeh se trouvait à présent réduit à solliciter l'indulgence de son adversaire à qui il avait tout récemment refusé la sienne propre. Mais 'Alî, avec sa générosité de coeur et la magnanimité inhérentes à son caractère, garantit volontiers à ses troupes l'accès à l'Euphrate. A partir de ce moment-là les combattants des deux armées purent aller et venir au fleuve avec une confiance et une liberté égales». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 312)

Des Combats sans suite pendant un Mois

'Alî divisa ses forces, dont le nombre s'élevait à quatre-vingt six mille hommes, en sept colonnes, dont chacune était commandée par un Compagnon du Prophète ou par un chef de grand renom. Les Commandants étaient: 'Ammâr Ibn Yâcir, 'Abdullâh Ibn 'Abbâs, Qays Ibn Sa'd Ibn 'Obâdah, 'Abdullâh Ibn Ja'far, Mâlik al-Achtar, Ach'ath Ibn Qays al-Kindi et Sa'îd Ibn Qays Hamadânî.

Similairement, Mu'âwiyeh répartit ses combattants dont le nombre (cent vingt mille) dépassait de loin celui des partisans de 'Alî, en sept colonnes (ou huit) sous le commandement des généraux suivants: 'Amr Ibn al-'Âç, 'Abdullâh Ibn 'Amr Ibn al-'Âç, 'Obaydullâh Ibn 'Omar, Abul-Awr, Thul Kala' Homayri, 'Abdul-Rahmân Ibn Khâlid Ibn al-Walîd et Habîb Ibn Maslamah.

Chacune des colonnes des deux armées avançait à tour de rôle vers le champ de bataille, s'engageait dans des combats en tirailleurs ou singuliers, au cours desquels un seul héros de chaque camp se battait jusqu'à ce que la chaleur devienne insupportable. Ainsi, les combats se prolongèrent pendant tout le mois de Thilhaj, et cela était dû surtout au désir de 'Alî d'éviter un grand nombre de pertes parmi les Musulmans dans une bataille générale et décisive.

L'année suivante (37 H.) ayant débuté au mois de Moharram pendant lequel le combat était interdit, les deux armées campèrent l'une en vue de l'autre sans se livrer pratiquement à aucun mouvement ou activité belliqueux. Pendant ce mois de trêve, 'Alî désira sérieusement se réconcilier avec Mu'âwiyeh pour prévenir une crise imminente, et il réussit à réengager des négociations. Tout le mois s'écoula pour 'Alî en envoyant ou en recevant des délégations, mais sans que cela n'aboutisse à rien. 'Alî fit savoir clairement qu'en sa qualité de Calife il était prêt à appliquer la Loi Divine contre les assassins de 'Othmân, si Mu'âwiyeh pouvait seulement les désigner.

Mais Mu'âwiyeh, qui entretenait des intentions ambitieuses pour le Califat sous le couvert de la prétendue volonté de venger le sang de 'Othmân, prétexte qui était de loin son point le plus fort et qui lui avait permis de constituer une si grande armée, ne voulait entendre parler d'aucun accord avant que tous les assassins de 'Othmân ne fussent exterminés.

Des Combats Féroces à Çiffîn

Les hostilités furent reprises au début du mois suivant (Çafar 37 H.). Pendant une semaine les combats firent rage, avec une férocité toujours plus grande, depuis le matin et jusqu'à ce que le coucher du soleil séparât les belligérants. Chaque jour la bataille devenait plus sévère et plus affligeante. La deuxième semaine, 'Alî décida d'engager un combat décisif. Les récits rapportés par Price décrivent très minutieusement les différents combats singuliers qui eurent lieu pendant cette campagne qui traîna en longueur.

«Dans beaucoup de ces combats singuliers, 'Alî était personnellement engagé, mais sa force et son habileté extraordinaires étaient si connues et si redoutées par l'adversaire qu'il était souvent obligé de se masquer pour qu'un combattant de l'ennemi veuille bien l'attaquer. A une occasion, alors qu'il était monté sur le cheval de l'un de ses généraux et revêtu de son armure, il fut attaqué par un guerrier de l'armée de Mu'âwiyeh, dont il sépara la partie supérieure de la partie inférieure du corps, d'un coup terrible de cimeterre. On dit aussi que l'acuité et la dureté de la lame étaient telles, et que le coup fut si rapide et si précis, que l'homme ainsi coupé en deux continua à rester fixé sur la selle, au point que l'on crut un moment que 'Alî avait manqué son coup, et ce jusqu'à ce que le cheval bougea pour laisser tomber par terre les deux moitiés du corps». ("Histry of the Saracens" de S. Ockley, p. 314)

'Ammâr Tombe dans la Bataille

Les pertes en vies humaines, principalement dans les rangs de l'armée de Mu'âwiyeh, étaient très lourdes dans ces combats. Dans l'armée de 'Alî on enregistra notamment la perte de certains Compagnons distingués du Prophète, perte regrettée aussi bien par les partisans que par l'ennemi.

'Ammâr Ibn Yâcir était grièvement blessé lorsque Hâchim Ibn 'Otbah, le héros de Qâdiciyyah, tomba à côté de lui en combattant. En voyant Hâchim tomber, il s'écria en direction de ses compagnons: «Ô Hâchim, en ce moment-même, je vois le Ciel ouvert et les vierges aux yeux noirs, vêtues de robes de mariées, t'étreignant de leurs baisers affectueux». En chantant ainsi, il se rafraîchit avec sa gorgée favorite de lait coupé d'eau, et le vieux guerrier se battit à nouveau avec l'ardeur d'un jeune homme, attaquant les rangs de l'ennemi avant de tomber et de rencontrer le sort tant envié.

Pendant longtemps, on put entendre sur les lèvres de tout un chacun, aussi bien dans la ville que dans le camp, ce que le Prophète avait dit un jour à 'Ammâr: «Tu seras tué un jour par la partie rebelle et déviée, Ô 'Ammâr!». En d'autres termes, on interpréta la prédiction du Prophète comme voulant dire que 'Ammâr serait tué alors qu'il combattait du côté de la bonne cause.

Ainsi sa mort était la condamnation nette de la partie contre laquelle il avait combattu, et sema la discorde dans les rangs de l'armée de Mu'âwiyeh. Lorsque 'Amr Ibn al-'Âç apprit la mort de 'Ammâr, il tenta d'innocenter son camp en disant: «Et qui d'autre a tué 'Ammâr, si ce n'est 'Alî, le rebelle, en l'amenant ici?». Cette répartie intelligente courut à travers les rangs de l'armée syrienne et effaça tout de suite le mauvais présage dû à la mort de 'Ammâr. ("Annals of the Early Caiphate" de W. Muir, p. 382).

Selon d'autres versions, les dernières paroles de 'Ammâr furent les suivantes: «L'homme assoiffé désirait ardemment de l'eau, et tout près de lui une source jaillit, il descend dans la source et boit. C'est le jour joyeux de la rencontre avec les amis, avec Muhammad et ses Compagnons». (Al-Wâqidî, cité par W. Muir, dans son "Annals of ....", p. 382).

«Par Allâh! Je ne connais pas d'action qui fasse plus plaisir à Dieu que de guerroyer contre les vagabonds hors-la-loi. Je voudrais combattre même si j'étais sûr d'être emporté par une lance, car mourir en martyr et l'assurance d'aller au Paradis de cette façon ne peuvent être acquis que dans les rangs de 'Alî. Quel que soit le courage avec lequel les ennemis peuvent se battre, la justice restera de notre côté. Ils ne veulent pas vraiment venger la mort de 'Othmân, mais c'est l'ambition qui les conduit à la rébellion. Suivez-moi, Ô Compagnons du Prophète! Les portes des Cieux sont ouvertes et les houris attendent de nous accueillir. Triomphons ici, ou rencontrons Muhammad et ses amis au Paradis!» Prononçant ces mots, il brandit son arme et plongea avec une violence désespérée dans le combat jusqu'à ce qu'il fût finalement cerné par les Syriens et tombât sacrifié par son propre courage. Sa mort incita les troupes de 'Alî à le venger alors que même les Syriens regrettèrent sa perte en raison de la haute estime dans laquelle le Prophète l'avait tenu». (Weil, "Geschicte der Chalifen", cité dans "History of the Saracens" de S. Ockley, p. 314).

Voyant 'Ammâr tomber, Mu'âwiyeh s'écria à l'adresse de 'Amr Ibn al-'Âç qui était assis à côté de lui: «Vois-tu quelles précieuses vies sont perdues à cause de nos dissensions?» «Oui, je vois, répondit 'Amr. J'aurais voulu que Dieu ne me laissât pas vivre jusqu'à ce que j'assiste à une pareille catastrophe».

'Ammâr Ibn Yâcir, le patriarche de la chevalerie musulmane, était âgé de quatre-vingt treize ans. Il avait combattu sous les ordres du Prophète à Badr et dans beaucoup d'autres batailles. II était dans cette dernière bataille le Commandant de la Cavalerie de l'armée de 'Alî. Il avait été révéré de son vivant et il fut pleuré après sa mort par tout le monde. Ayant été blessé mortellement par la lance de Jowayr Oskoni, il fut ramené à sa tente où se trouvait 'Alî qui le prit dans son giron, versa des larmes de deuil et pria sur lui.

Le Piètre État de 'Amr Ibn al-'Âç

'Amr Ibn al-'Âç ne semble pas en tout cas avoir montré beaucoup plus de valeur personnelle que Mu'âwiyeh à cette occasion. Price nous dit que peu après, 'Alî ayant changé à nouveau son armure pour se déguiser et rentrer en lice, 'Amr Ibn al-'Âç, ignorant son identité, fit quelques pas en avant, et 'Alî feignant d'appréhender un peu, l'encouragea à avancer encore plus. Tous les deux étaient montés à cheval, et comme 'Amr s'approchait un peu plus de son adversaire il récita quelques vers de vantardise voulant dire qu'il entendait faire des ravages dans l'armée ennemie et la réduire à la déconfiture même si elle comptait dans ses rangs un millier d'hommes comme 'Alî.

'Alî répondit avec des mots qui laissèrent apparaître d'une façon inattendue son identité. 'Amr s'éloigna sans perdre une seconde, fouettant et éperonnant son cheval pour le faire courir le plus rapidement possible, tandis que 'Alî se mettait à sa poursuite avec la plus grande ardeur. Il fit un bon plongeon direct qui permit à la pointe de sa lance de passer à travers les bordures de la cotte de mailles de 'Amr et de le jeter par terre, la tête précédant le corps.

Malheureusement (ou plutôt heureusement) 'Amr, ne portant pas de sous-vêtements, et ses pieds étant en l'air, les parties intimes de son corps furent exposées à la vue de tout le monde. Le voyant dans cet état, 'Alî renonça à lui faire plus de mal et lui permit de s'enfuir avec la remarque méprisante qu'il ne devait plus oublier les circonstances auxquelles il devait la vie sauve.

Ci-après nous reproduisons un récit plein d'humour qui a été tiré de la conversation s'étant ensuivie entre 'Amr et Mu'âwiyeh lors de leur prochain entretien:

Mu'âwiyeh: «Je te fais crédit pour ton ingéniosité, Ô 'Amr, et je crois que tu es le premier guerrier qui ait échappé à l'épée par un si scandaleux dévoilement. Tu dois être reconnaissant envers ces organes (que tu as exposés) jusqu'au jour de ta mort».

'Amr Ibn al-'Âç: «Cesse de te moquer de moi, Ô Mu'âwiyeh! Si tu avais été à ma place, ton orgueil aurait été complètement rabaissé et tes femmes et enfants auraient été respectivement veuves et orphelins.

Mu'âwiyeh: «De grâce, 'Amr! Comment respirais-tu avec tes jambes suspendues en l'air? Si tu avais su comment tu allais être déshonoré, tu aurais sûrement porté un caleçon».

'Amr Ibn al-'Âç: «Je me suis seulement retiré devant la force supérieure de mon ennemi».

Mu'âwiyeh: «Je ne considère pas comme déshonorant le fait de te soumettre à 'Alî, mais je maintiens qu'il était scandaleux de faire de tes jambes un mât de drapeau et de t'exposer si honteusement devant 'Alî et devant tout le monde».

'Amr Ibn al-'Âç: «Je n'exclurais pas que 'Alî m'ait épargné parce qu'il se serait rappelé que je suis le fils de son oncle».

Mu'âwiyeh: «Non! 'Amr!(139) C'est trop arrogant de ta part. Le Prophète avait déclaré que 'Alî était de la même ascendance que lui, et nous savons tous que son père était un chef de l'illustre race de Hâchim, tandis que le tien était un simple boucher de la tribu de Quraych».

'Amr Ibn al-'Âç: «Grand Dieu! Tes remarques sont pires que les épées et les flèches de l'ennemi. Si je ne m'étais pas impliqué dans ta querelle, ni je n'avais troqué mon bien-être éternel contre le profit de ce bas-monde, je n'aurais pas été obligé de supporter de tels propos, ni d'endurer un tel fardeau de peine et d'angoisse».

Une Bataille Férocement Livrée

«Un jour, alors que la campagne semblait proche, 'Alî se prépara à la bataille avec une solennité inhabituelle. Vêtu de la cotte de mailles et du turban du Prophète, et montant sur le cheval du Prophète, Riyâh, il sortit le vieux et vénérable étendard de Mohammad. L'apparition de cette relique sacrée, maintenant déchirée en lambeaux, fit sangloter les illustres Compagnons qui avaient si souvent combattu et conquis à son ombre, et incita les troupes enthousiastes à s'empresser dans une formidable démonstration de force sous la bannière sacrée. Mu'âwiyeh avait rassemblé douze mille parmi les meilleurs guerriers de Syrie, lorsque 'Alî, épée à la main, à la tête de ses vétérans impétueux, les attaqua avec le cri d' "Allâh-û-Akbar" et les mit immédiatement dans la confusion générale. Les Syriens purent finalement se remettre de leur désordre.

»La tribu de Awk du côté de Mu'âwiyeh et celle de Hamandites du côté de 'Alî firent chacun de son côté le vu solennel de ne jamais quitter le champ de bataille tant qu'un seul de la partie adverse y demeurait pour le disputer. Il en résulta un carnage terrible parmi les plus braves des deux armées. Des têtes roulaient sur le sol, et des flots de sang coulaient dans toutes les directions. Mais l'issue de la bataille fut fatale pour les Syriens qui subirent une défaite totale et se retirèrent dans la plus grande confusion». ("Mohammadan History" de M. Price, cité de S. Ockley dans son "History of Saracens", p. 315)

Des Combats Décisifs à Çiffîn ; Le Combat Vateureux de Mâlik al-Achtar

La Bataille de Çiffin fut enfin livrée désespérément les 11, 12 et 13 Çafar, 37 H. La guerre continua à faire rage pendant la riuit éclairée par la pleine lune du 13 Çafar, beaucoup plus que pendant la journée. Pareille à la nuit du champ de bataille de Qadiciyyah, cette nuit-là fut appelé une seconde Laylat al-Harir (la nuit des sons métalliques). Mâlik al-Achtar montait un cheval pie, et maniant un sabre large à double tranchant, il criait sans cesse: «Allâho Akbar». A chaque coup de son terrible cimeterre, un guerrier tombait, fendu. L'histoire nous dit qu'il répéta ce cri redoutable au moins quatre cents fois durant la nuit. Le héros de la bataille, résolu à obtenir la victoire, lançait ses attaques avec une vigueur soutenue et beaucoup de pugnacité.

Le jour se leva et parut très désavantageux pour les Syriens qui étaient repoussés vers leur campement par la charge de leurs courageux assaillants. Mu'âwiyeh, qui observait le champ de bataille avec angoisse, devint de plus en plus nerveux lorsque les rangs de ses gardes du corps furent taillés en pièces. Alors qu'il songeait avec désespoir à prendre la fuite, et qu'il avait même demandé qu'on préparât son cheval, 'Amr Ibn al-'Âç, qui se trouvait près de lui, lui dit: «Courage, Mu'âwiyeh! Ne te démoralise pas! J'ai imaginé le moyen de prévenir la crise. Appelle l'ennemi à la Parole de Dieu en levant haut le Livre Sacré. S'il accepte, cela te mènera à la victoire, et s'il refuse de subir l'épreuve, la discorde sévira dans ses rangs».

Une Supercherie pour Détourner la Crise

Mu'âwiyeh s'accrocha ardemment à ces paroles, et peu après cinq cents copies du Coran furent levées haut, accrochées à la pointe des lances. «Regardez!» s'écrièrent les porteurs du Coran à l'intention de l'armée adverse. «Laissons au Livre de Dieu le soin de décider de nos différends».(140)

Ce stratagème produisit un effet magique sur Ach'ath Ibn Qays(141) et ses partisans ainsi que sur certains Kûfites. On eût dit qu'ils attendaient avec angoisse cet artifice. Ils bondirent en avant tout de suite, et d'une seule voix retentissante ils crièrent: «Oui, le Livre de Dieu! Laissons-le décider de nos différends», tout en déposant leurs armes. Entendant le tumulte, 'Ali fit quelques pas en avant et les admonesta: «C'est une supercherie, leur dit-il. Craignant la défaite, ces hommes malveillants ont trouvé cette astuce de sauvetage». «Quoi!» s'écrièrent les hommes dupés par la ruse de Mu'âwiyeh. «Est-ce que tu refuses de te soumettre à la décision du Coran auquel ils t'appellent?» «Mais c'est pour les amener au Coran que je les ai combattus si longuement. Ce sont des rebelles. Allez donc combattre votre ennemi. Je connais Mu'âwiyeh, 'Amr Ibn al-'Âç, Ibn Abî Sarh, Habib et Dhohâk mieux que vous. Ils n'ont pas d'égard pour la religion ni pour le Coran».(142) «Quoi qu'il en soit, persistèrent-ils, nous sommes à présent appelés au Coran et nous ne devons pas décliner cet appel».

Ainsi ils ne voulaient entendre aucun argument. Et finalement, avec une attitude de révolte, ils menacèrent le Calife que s'il refusait l'appel, ils l'abandonneraient tous ou même ils le livreraient à son ennemi, ou lui réserveraient le même traitement qu'avait subi 'Othmân.

'Alî constata qu'il était inutile d'essayer encore de convaincre ces soldats séduits définitivement par l'astuce de Mu'awiyeh, et leur dit alors: «Arrêtez d'user de ce langage véhément et traître et obéissez-moi en reprenant le combat. Mais si vous êtes déterminés à me désobéir, faites comme vous voulez». Ils refusèrent de lui obéir et le pressèrent de faire sortir Mâlik al-Achtar du champ de bataille (ces hommes devinrent très sectaires et ils seront désignés dans l'histoire par le terme de "Khârijite" - sécessionnistes).

Mâlik al-Achtar, sommé de revenir, refusa tout d'abord en disant: «Je ne peux pas quitter le champ de bataille. La victoire est à la portée de la main». Devant cette réponse, le tumulte des Khârijites se fit plus fort, et ils insistèrent auprès de 'Alî pour qu'il le fasse ramener immédiatement. 'Alî envoya un autre message à Mâlik al-Achtar pour lui dire: «A quoi sert la victoire lorsque la trahison sévit à l'intérieur de mon propre camp. Reviens tout de suite avant que je sois tué ou livré à mes ennemis».

Mâlik al-Achtar cessa le combat à contre-coeur et accourut auprès du Calife.

«Une vive dispute éclata entre lui et les soldats en colère: "Vous combattiez, leur dit-il, jusqu'à hier encore pour Dieu et les plus élus d'entre vous y ont laissé leur vie. Cela signifie-t-il que vous reconnaissez maintenant que vous êtes dans l'erreur et que vos martyrs sont allés en enfer ?". "Non! Ce n'est pas ainsi, répliquèrent-ils. Hier nous combattions pour le Seigneur, et aujourd'hui c'est pour le Seigneur aussi que nous arrêtons le combat". A cette réponse, Mâlik al-Achtar les traita de traîtres, de lèches, d'hypocrites et de mécréants. Ils ripostèrent en l'injuriant et frappèrent son cheval avec leurs fouets. 'Alî s'interposa. Le tumulte s'apaisa». ("Annals of ..." de W. Muir, p. 382)

Des Propositions d'Arbitrage

Ach'ath(143) Ibn Qays al-Kindî, sortant des rangs des Khârijites, s'approcha de 'Alî et lui demanda la permission d'aller voir Mu'âwiyeh pour savoir quelle était la signification précise de son action de lever haut le Coran. La permission lui fut donnée et il se rendit chez Mu'âwiyeh, et à son retour il dit que Mu'âwiyeh et son parti désiraient que les différends soient soumis à l'arbitrage de deux juges qui émettraient leurs verdicts conformément au vrai sens du Coran, que chaque partie devrait nommer un juge, et que le verdict des juges serait définitif.

«Ach'ath, le fils de Qays, l'un de ceux qui jouissaient d'un énorme crédit et d'influence parmi les soldats irakiens, mais qui fut soupçonné(144) d'avoir été suborné par Mu'âwiyeh, demanda à 'Alî comment il considérait cet expédient. 'Alî lui répondit froidement que "Celui qui n'est pas libre ne peut donner son avis. Il vous appartient donc de régler cette affaire de la manière que vous estimerez convenable vous-mêmes». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 317).

En tout cas l'armée étant résolue à accepter la proposition désigna comme arbitre, Abû Mûsâ al-Ach'ari le dernier Gouverneur de Kûfa, déposé par 'Alî pour sa déloyauté, comme cela a été souligné précédemment. «Cet homme - dit 'Alî, surpris par cette désignation - nous a déjà quittés, et il ne combat pas actuellement avec nous. Il est préférable de choisir à sa place le fils de l'oncle du Prophète, c'est-à-dire 'Abdullâh Ibn 'Abbâs». «Et pourquoi ne pas te nommer toi-même au lieu de ton cousin?» dirent ironiquement ses détracteurs. Ils affirmèrent qu'ils ne voulaient désigner que quelqu'un qui puisse être également impartial vis-à-vis de lui et de Mu'âwiyeh.

'Alî proposa alors Mâlik al-Achtar, mais ils le forcèrent obstinément à ne choisir qu'Abû Mûsâ comme son représentant.

«C'était le choix le plus amer pour 'Alî, mais il n'avait pas d'alternative. Abû Mûsâ s'était mis à l'écart de la bataille, mais il devait se trouver dans les parages. Lorsq'on lui parla de l'arbitrage, il s'exclama: "Dieu soit loué pour avoir mis fin au combat!". "Mais tu es nommé l'arbitre qui nous représente", lui dit-on. "Hélas! Hélas!" s'écria-t-il avant de se rendre avec beaucoup d'excitation au camp de Alî. Ahnaf Ibn Qays demanda à être nommé juge conjointement avec Abû Mûsâ dont il dit qu'il n'était pas homme à pouvoir juger tout seul ni n'ayant suffisamment de tact ni d'esprit pour être à la hauteur de cette tâche. "Il n'y a pas de nud qu'Abû Mûsâ puisse nouer sans que je ne puisse le dénouer, ni de nud qu'il puisse dénouer sans que j'en trouve un encore plus dur à défaire". C'était tout à fait vrai, mais l'armée était d'une humeur insolente et perverse, et né voulait entendre parler de personne d'autre qu'Abû Mûsâ. L'arbitre syrien était 'Amr Ibn al-'Âç, devant les moyens profonds et astucieux duquel Abû Mûsâ ne pesait guère" ("Annals of ..." de W. Muir, p. 385).

L'Acte d'Arbitrage

Les deux arbitres (Abû Mûsâ et 'Amr Ibn al-'Âç) s'étant présentés dans le camp de 'Alî, un accord de trêve fut rédigé.(145) Dicté par 'Alî, il commençait ainsi: «Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Voici ce qui a été agréé entre le Commandeur des Croyants, 'Alî, et ... ». 'Amr Ibn al-'Âç objecta à cette formule et dit: «'Alî est votre Commandeur, pas le nôtre. Il faut écrire tout simplement: "entre 'Alî et Mu'âwiyeh"».

A ce moment, 'Alî, se rappelant la prophétie prononcée par le Messager de Dieu à Hudaybiyyah, dit aux gens qui l'entouraient: «Lorsqu'une objection similaire avait été soulevée par Quraych afin de supprimer la formule "Le Messager de Dieu" rattachée au nom du Prophète dans le traité, le Prophète avait cédé et effacé de ses propres mains les mots contestés en me voyant hésiter à le faire, avait prédit alors qu'un jour viendrait où je devrais céder moi aussi et faire une semblable concession».

Entendant ces propos, 'Amr Ibn al-'Âç s'écria: «Est-ce que tu nous compares aux Arabes païens bien que nous soyons de bons Croyants!». «Et quand a-t-on vu qu'un fils de mauvaise naissance ne fût pas l'ami des méchants et l'ennemi des gens intègres?». Sur ce, 'Amr jura qu'il ne voudrait plus jamais se trouver en compagnie de 'Alî, et 'Alî dit qu'il souhaitait que Dieu le préservât d'un tel compagnon. Cependant 'Alî n'avait d'autre choix que de céder, et l'accord de trêve fut écrit avec les noms simples de 'Alî et de Mu'âwiyeh - et signé.

Par cet accord les parties contractantes s'engageaient à ratifier et à confirmer la décision des juges, décision qui devrait intervenir quelques six ou huit mois plus tard, quelque part à mi-distance entre Kûfa et Damas. Les juges jurent qu'ils jugeraient avec intégrité, conformément au Livre Sacré et sans aucune partialité. Cet Acte d'arbitrage eut lieu le Mercredi 13 Çafar 37 H, soit le 31 Juillet 657 du calendrier chrétien.

Le Massacre de Çiffîn

Quatre-vingt dix batailles avaient été livrées à Çiffîn.(146) Les pertes avaient été très lourdes. La plupart des historiens avancent le chiffre de soixante-dix mille soldats tués dans les deux camps depuis le début jusqu'à la fin des hostilités. Dans ce nombre il y avait quarante-cinq mille Syriens et vingt-cinq Irakiens. 'Ammâr Ibn Yâcir, Hâchim Ibn 'Otbah, Khazimah Ibn Thâbit, 'Abdullâh Ibn Bodayl et Abul-Hathîm Ibn Tayhân étaient ceux des chefs notables des partisans de 'Alî qui avaient reçu le martyre, tandis que les hommes distingués, du côté de Mu'âwiyeh, qui avaient trouvé la mort dans ces batailles, étaient: Thul-Kala', Homayrî, 'Obaydullâh Ibn 'Omar, Hochâb Ibn Thil-Zalim et Habîb Ibn Sa'd al-Tay.

Le Retour des Armées

La trêve étant entrée en vigueur, Mu'âwiyeh échappa de peu à la défaite et marqua pour le moment un point, tout en conservant de bons espoirs pour le futur. Les armées ayant enterré leurs morts, quittèrent le funeste champ de bataille. Mu'âwiyeh se retira à Damas, et 'Alî se rendit à Kûfa.

La Décision des Juges

L'heure de l'arbitrage étant arrivée, les juges se rendirent à Dumat al-Jondel, ou Azroh, chacun avec une suite de quatre cents cavaliers, comme convenu. Beaucoup de chefs notables de la Mecque, de Médine, d'Irak et de Syrie s'y rendirent également pour assister aux délibérations qui devaient décider l'avenir de l'Islam. 'Abdullâh Ibn 'Abbâs, qui accompagnait Abû Mûsâ pour présider aux prières quotidiennes, lui conseilla, lors de leurs discussions sur les questions de l'arbitrage, de se méfier des ruses de son collègue astucieux et de garder bien particulièrement présent dans son esprit le fait que 'Alî n'avait pas un défaut qui puisse le rendre incapable de gouverner, et que Mu'âwiyeh n'avait pas une vertu susceptible de le qualifier pour diriger le gouvernement islamique.

Lorsque Abû Mûsâ arriva à Dumat, 'Amr Ibn al-'Âç était déjà prévenu des faiblesses du caractère d'Abû Mûsâ. Aussi le traita-t-il avec le plus grand respect et beaucoup de politesse afin de le mettre complètement sous son influence. Ayant gagné sa confiance, il lui fit admettre que 'Othmân avait été ignoblement assassiné. Puis, il lui demanda pourquoi le vengeur de son sang, qui était de plus l'un de ses proches parents et un administrateur compétent, en l'occurrence Mu'âwiyeh, ne devrait pas lui succéder. A ceci Abû Mûsâ répliqua que la succession ne devait pas être déterminée sur une telle base, sinon la préférence irait aux fils de 'Othmân en tant que légitimes prétendants, mais qu'ils devaient avant toute chose fonder leur choix sur le moyen d'éviter l'éclatement d'une nouvelle révolte ou guerre.

'Amr Ibn al-'Âç lui demanda alors ce qu'il proposait de faire. «Ecartons à la fois 'Alî et Mu'âwiyeh et laissons les Croyants élire une tierce personne», suggéra Abû Mûsâ. «Je suis d'accord, dit 'Amr Ibn al-'Âç. Allons annoncer notre décision». Un tribunal fut érigé, d'où les deux arbitres devraient déclarer publiquement leur décision. Abû Mûsâ demanda à 'Amr Ibn al-'Âç de monter le premier à la tribune, mais 'Amr, alléguant qu'il désirait par courtoisie laisser monter l'homme de 'Alî le premier, et venant à bout de tous ses scrupules, insista auprès d'Abû Mûsâ pour qu'il montât le premier.

Abû Mûsâ monta donc sur la tribune et s'adressa aux gens dans les termes suivants: «Frères! 'Amr Ibn al-'Âç et moi-même avons ensemble examiné la question profondément, et conclu que le meilleur moyen possible de restaurer la paix et d'effacer la discorde du peuple est de déposer à la fois 'Alî et Mu'âwiyeh afin de laisser au peuple le soin de choisir à leur place un homme meilleur. C'est pourquoi, je destitue à la fois 'Alî et Mû'âwiyeh du Califat auquel ils prétendent, de la même façon que je retire cette bague de mon doigt». Abû Mûsâ descendit de la tribune, une fois qu'il eut terminé sa déclaration.

A son tour, 'Amr Ibn al-'Âç monta sur la tribune pour rendre public ce qu'il avait à déclarer. «Vous avez entendu, dit-il, comment il a déposé son Chef 'Alî. Pour ma part je le dépose également et j'investis mon Chef Mu'âwiyeh du Califat, et je l'y confirme, de la même façon que je mets cette bague à mon doigt. Je fais ceci avec justice, car Mu'âwiyeh est le vengeur de 'Othmân et son successeur légal». Après quoi, il descendit de la tribune. Cet arbitrage eut lieu au mois de Ramadhân, 37 H., soit Février 658 ap. J. -C.

Stupéfaction devant la Décision

L'assistance fut stupéfaite par l'issue inattendue de l'arbitrage. Ni les Kûfites ne songeaient que 'Amr Ibn al-'Âç pouvait duper si honteusement Abû Mûsâ, ni les Syriens ne rêvaient que Mu'âwiyeh pouvait réaliser un tel triomphe. Abû Mûsâ, déconcerté, abasourdi, et assailli de toutes parts dit: «Que puis je faire? J'ai été dupé par 'Amr qui était d'accord avec moi, mais qui a fait un écart par la suite».

Autant les Syriens applaudissaient à la décision, autant les Kûfites étaient enragés. Au sommet de l'indignation, Churay, le commandant de l'escorte de Kûfa, se jeta sur 'Amr Ibn al-'Âç, et il était en train de le malmener durement lorsque les gens s'interposèrent pour les séparer et les laisser seulement s'injurier. Faisant l'objet de la raillerie des Syriens et des reproches des Kûfites, Abû Mûsâ se sentait très honteux d'avoir été dupé par son collègue. Craignant de devoir payer pour ce qui venait de se passer, il eut vite fait de s'enfuir à la Mecque où il vécut désormais dans l'obscurité et où on n'entendra plus parler de lui, bien qu'il mourût en 42 H., ou en 52 H. selon d'autres sources.

Beaucoup de ce qui avait été dit avec colère par les notables qui étaient stupéfaits par l'étrange dénouement de l'arbitrage, a été conservé par l'histoire. En voici quelques exemples:

Le fils de 'Omar: «Voyez ce qui est arrivé d l'Islam. Sa plus grande affaire a été confiée à deux hommes dont l'un ne distingue pas le bon droit de l'erreur, et l'autre est un nigaud».

Le fils d'Abû Bakr: «Il aurait été préférable pour Abû Mûsâ qu'il fût mort avant cette affaire».

Abû Mûsâ lui-même est représenté comme parlant de 'Amr par le recours au langage coranique: «Il est semblable au chien: il grogne quand tu l'attaques, il grogne quand tu le laisses tranquille». (Sourate al-A'râf, 7: 176) et 'Amr lui répliqua: «Et toi, tu es "comme l'âne chargé de livres et qui n'en est pas plus avancé" (Sourate al-Jum'ah, 62, 5)».

Churayh, le commandant de l'escorte de Kûfa s'élança sur 'Amr et ils se rouèrent de coups de fouet jusqu'à ce qu'ils fussent séparés par les gens. Churayh s'écria qu'il aurait souhaité faire usage de l'épée (au lieu du fouet). ("Annals of ..." de W. Muir, p. 394)

'Amr Ibn al-'Âç retourna à Damas, alors que Mu'âwiyeh était salué, au milieu des acclamations de joie, comme Calife par les Syriens. Désormais, les intérêts de Mu'âwiyeh commencèrent à prospérer et la prédiction de Ka'b al-Ahbar semblait être en voie de se réaliser dans un futur proche, tandis que le pouvoir de 'Alî se mit à décliner.

Les Khârijites

La trêve ayant été conclue le 13 Çafar 37 H. à Çiffîn, 'Alî prit le chemin du retour avec son armée. Un corps de douze mille hommes sortit des rangs et marcha pendant une petite distance dans la même direction que celle suivie par le gros de l'armée, c'est-à-dire vers Kûfa. Ces soldats mécontents avaient d'abord grogné à voix basse le compromis conclu et s'étaient mis ensuite à se reprocher les uns aux autres d'avoir abandonné la cause de la Foi pour un compromis impie. C'étaient les Khârijites (un Khârijite est quelqu'un qui se rebelle contre les principes établis d'une religion), qui avaient refusé de combattre après la supercherie faite par l'ennemi et qui avaient pressé le Calife d'accepter l'arbitrage, et l'arbitre en particulier.

A l'approche de Kûfa, ces sécessionnistes campèrent dans un village appelé Harora, à proximité de Kûfa. Leurs notions religieuses tournèrent à un zèle fanatique qui professait que tous les croyants étaient d'un niveau égal et que personne ne devait exercer une autorité sur les autres. Ils fondèrent leur credo sur cette formule: "La hukma illâ lillâh", c'est-à-dire, il n'y a pas de jugement si ce n'est celui de Dieu seul, et par conséquent ils voulaient qu'il n'y ait ni Calife ni serment d'allégeance prêté à aucun être humain. Ils reprochaient à 'Alî d'avoir péché en acceptant de se référer à un jugement humain, alors que le jugement appartient à Dieu seul, et ils lui demandaient de se repentir de son "apostasie". Ils disaient que 'Alî n'aurait pas dû faire quartier à l'ennemi, lequel aurait dû être poursuivi et soumis à l'épée.

Se rendant à leur camp, le Calife les admonesta fermement en leur reprochant d'avoir fait une mauvaise interprétation de la formule: "La hukma illâ Lillâh". Il leur expliqua qu'en acceptant l'arbitrage il n'avait fait que suivre les stipulations figurant dans le Coran, et qu'il n'avait pas commis un péché dont il aurait à se repentir. Il souligna que le péché se trouvait de leur côté puisqu'ils avaient refusé obstinément de continuer à combattre l'ennemi, que c'était par leur révolte qu'ils l'avaient forcé à rappeler Mâlik al-Achtar qui était en train de repousser l'ennemi vers son camp, et sur le point d'obtenir une victoire totale, et que c'étaient eux qui l'avaient contraint à accepter l'arbitrage et l'arbitre en particulier. Il ajouta qu'il concevait que les arbitres étaient engagés selon les termes de l'accord de trêve à émettre un jugement juste et conforme au Coran, et que s'il était établi que le jugement était écarté de la droiture, il le rejetterait tout de suite et marcherait à nouveau contre l'ennemi.

Il leur dit en conclusion qu'il était erroné de lui demander d'interrompre la trêve qu'ils l'avaient eux-mêmes conduit à conclure. A tous ces raisonnements ils répondirent tout simplement: «Nous admettons notre péché mais nous nous sommes repentis de notre apostasie, et toi aussi, tu. dois te repentir de la tienne».

'Alî répliqua qu'étant un vrai croyant, il ne voulait pas se démentir en admettant être ce qu'il n'était pas c'est-à-dire un apostat.

La Révolte des Khârijites

Ces sécessionnistes n'étaient pas satisfaits et ils prirent la décision de se rebeller, mais attendant l'issue de la décision des juges, ils s'abstinrent pour le moment d'entreprendre toute action. Tout de suite après le jugement rendu public par les arbitres, ils décidèrent de dresser le drapeau de la révolte et ils obtinrent de 'Abdullâh Ibn Wahab, l'un de leurs chefs, d'accepter (contrairement aux principes de leur doctrine) le commandement, à titre provisoire, pour faire face à la situation critique.

Fixant leur quartier général à Nahrawân, à quelques kilomètres de Bagdad, au cours du mois qui suivit l'arbitrage, ils commencèrent à prendre la route du rendez-vous soit individuellement, soit par petits groupes, afin d'éviter d'attirer l'attention sur leur départ. Quelque cinq cents mécontents de Basrah aussi rejoignirent les insurgés à Nahrawân.

En même temps, 'Alî, ayant appris la nouvelle du faux arbitrage à Dumat, s'était contenté de prendre note du mouvement de ces zélateurs fanatiques, son esprit était occupé avant tout par la question de Mu'âwiyeh et la levée de troupes contre la Syrie en vue de reprendre les hostilités. Les nouvelles de l'insurrection des Khârijites lui étant entre-temps parvenues, il leur écrivit qu'il était en train de se préparer à marcher contre Mu'âwiyeh et qu'il était encore temps pour eux de se joindre à son drapeau. Les sécessionnistes lui firent parvenir une réponse insultante, lui disant qu'ils l'avaient rejeté en tant qu'apostat hérétique, à moins qu'il ne reconnaisse son apostasie et s'en repente, auquel cas ils verraient s'il était possible d'arriver à un arrangement avec lui.

La Bataille de Nahrawân

Alors qu'il commençait sa marche sur la Syrie, 'Alî apprit que les Khârijites avaient attaqué Madâ'in, mais qu'ils avaient été repoussés vers leur camp, qu'ils étaient en train de commettre d'horribles outrages dans les régions entourant leur camp, condamnant comme impies tous ceux qui refusaient de partager leurs sentiments, qu'ils avaient mis à mort un voyageur qui n'avait pas accepté leur doctrine, et éventré sa femme qui portait un enfant. Les soldats de 'Alî, qui avaient laissé derrière eux leurs familles sans protection, et qui craignaient le danger de ces fanatiques barbares, exprimèrent leur désir de mettre ces hors-la-loi hors d'état de nuire avant de se rendre en Syrie. Un messager fut envoyé sur place pour enquêter sur ce qui se passait, mais il fut lui aussi mis à mort par les Khârijites.

Vu l'attitude dangereuse des insurgés, 'Alî estima qu'il était nécessaire de prendre les mesures qui s'imposaient pour les contenir. Aussi changea-t-il de route et prit-il la direction de l'est. Traversant le Tigre, et s'approchant de Nahrawân, il envoya un messager aux insurgés pour leur demander de lui livrer les meurtriers. Ils répondirent que personne en particulier n'était responsable et qu'ils avaient tous le même mérite d'avoir répandu le sang des apostats. Cependant, 'Alî, toujours soucieux d'éviter l'effusion de sang, essaya encore de ramener ces fanatiques égarés par des moyens pacifiques. C'est pourquoi, il planta un drapeau à l'extérieur de son camp, et une proclamation fut faite, signifiant que les rebelles qui se rassembleraient autour de ce drapeau, ou ceux qui se retireraient vers leurs maisons, auraient la vie sauve. La proclamation eut l'effet escompté.

Les rebelles commencèrent à se disperser en désertant leur camp, au point que 'Abdullâh Ibn Wahab resta avec seulement mille huit cents partisans qui étaient résolus à combattre le Calife coûte que coûte. 'Alî dit que ces hommes-là étaient les vrais Khârijites qui voulaient se lancer contre l'Islam. Et rapidement, conduits par leur dirigeant, 'Abdullâh Ibn Wahab, ils attaquèrent désespérément l'armée de 'Alî et eurent le sort qu'ils méritaient. Ils furent tous tués, à l'exception de neuf d'entre eux qui échappèrent à la mort, pour devenir des brandons de discorde et rallumer le prochain feu.

Du côté de 'Alî, il y eut seulement sept tués. Les zélateurs qui avaient échappé propageront secrètement leur doctrine et leur cause à Basrah et à Kûfa, et réapparaîtront pendant les années suivantes en bandes d'insurgés fanatiques, mais ils seront rapidement mis en fuite ou taillés en pièces.

L'Expédition Syrienne Avortée

Les Khârijites ayant été vaincus à Nahrawân, 'Alî revint sur ses pas en direction du Tigre qu'il traversa à nouveau, en sens inverse, avec son armée pour reprendre le chemin de la Syrie. Mais les chefs de ses partisans le pressèrent de donner à l'armée un peu de repos pour qu'elle se préparât au long voyage qu'elle avait à entreprendre et pour que les soldats se réarment afin qu'ils fussent mieux à même de faire face à un ennemi bien équipé. 'Alî accepta la proposition.

L'armée fit donc marche arrière en direction de Kûfa et campa à Nokhaylah, dans le voisinage de cette ville. Une proclamation fut faite autorisant quiconque avait quelque chose à régler en ville à quitter le camp pendant un jour, à condition d'y retourner le lendemain. En peu de temps le camp fut presque vidé de ses soldats qui allèrent, les uns après les autres, en ville. Le lendemain, personne n'étant revenu, 'Alî s'impatienta, et il se rendit lui-même à la ville pour haranguer les gens et les inciter à partir avec lui pour rejoindre l'expédition syrienne. Mais aucune réponse ne lui fut donnée et personne ne s'avança vers lui. Le Calife fut déçu et le projet de l'expédition fut finalement abandonné et il ne sera jamais repris.

Les Affaires d'Egypte (38 H.)

Mohammad,(147) le fils de Hothayfah, un Compagnon distingué du Prophète, était orphelin. Son père avait été tué à Yamamah. Il avait été adopté par 'Othmân et élevé par ses soins. Lorsqu'il eut grandi, il demanda à 'Othmân, devenu alors Calife, de lui confier un commandement, mais le Calife ne voulut pas accéder à sa demande avant qu'il ne prouvât lui-même, sur le champ de bataille, sa capacité à assumer les responsabilités d'une charge de cette importance.

Insatisfait par cette réponse, Mohammad s'était enfui en Egypte pour trouver refuge chez le Gouverneur de cette province, Ibn Abî Sarh. Etant un homme connu pour sa piété, Mohamad avait eu une influence grandissante sur le grand public et sur la cour. Ibn Abî Sarh lui avait confié la responsabilité de sa charge lors de son voyage à Médine pour porter secours au Calife assiégé par les insurgés.

Sur sa route vers Médine, Ibn Abî Sarh avait appris la nouvelle de l'assassinat de 'Othmân, et de l'accession de 'Alî au Califat. Etant un tyran et un homme sans principes, son sentiment de culpabilité l'avait conduit à fuir le tribunal de 'Alî. Aussi était-il parti précipitamment pour la Syrie, où il avait trouvé refuge chez Mu'âwiyeh, et il n'était donc pas retourné en Egypte. Ainsi, Mohammad Ibn Hothayfah avait-il tenu le gouvernement d'Egypte jusqu'à l'approche de Qays Ibn Sa'd, le nouveau Gouverneur, désigné par 'Alî.

Tout au long de la période de son gouvernement de l'Egypte, Mohammad souligna avec réprobation les défauts du caractère de 'Othmân. Avant l'arrivée de Qays au siège du gouvernement, Mohammad avait été amicalement invité par 'Amr Ibn al-'Âç à 'Arîch, une ville frontalière, où il avait été capturé par son hôte et emmené prisonnier chez Mu'âwiyeh qui avait chargé 'Amr de tendre ce piège.

Qays assuma le commandement de l'Egypte comme représentant de 'Alî pendant l'absence de Mohammad. Il était un homme de distinction, le fils de Sa'd Ibn 'Obâdah, qui avait été le rival d'Abû Bakr à l'élection de Saqîfah. C'était un administrateur compétent et il s'acquitta de sa charge avec beaucoup de sagesse. Il obtint avec sagacité la prestation de serment d'allégeance des Egyptiens pour 'Alî et parvint à tenir solidement les rênes du gouvernement.

Toutefois une fraction forte de partisans de 'Othmân, à Kharamba, s'était écartée pour revendiquer à haute voix la vengeance du sang de 'Othmân.(148) Qays les laissa sagement seuls pour le moment, renonçant même à leur demander le paiement de la Zakât. Mu'âwiyeh, craignant l'influence et l'exemple d'un Gouverneur si sage et si ferme à sa frontière, et estimant que sa présence en Egypte représentait un désavantage pour ses desseins dans ce pays, déploya d'abord tous les efforts possibles pour le détacher de son allégeance envers 'Alî, en lui promettant de le confirmer dans ses fonctions de gouverneur d'Egypte et d'attribuer de bons postes à ses proches au Hidjâz.

Mais étant un partisan loyal de 'Alî, Qays repoussa toutes ces offres. Ayant échoué dans ses tentatives de l'attirer vers lui, Mu'âwiyeh eut recours à une ruse déloyale pour le déloger de son poste. Il laissa entendre que Qays était son ami et qu'il agissait de concert avec lui. Il fit en sorte que cette rumeur parvienne aux oreilles de 'Alî afin que celui-ci doutât de la fidélité de Qays. Pour réaliser son dessein, il maquilla une lettre pour qu'elle paraisse avoir été envoyée par Qays à Mu'âwiyeh. Dans cette lettre le premier informait le second qu'il était d'accord pour ne pas prendre de mesures contre les partisans de 'Othmân à Kharamba. Mu'âwiyeh réussit à faire parvenir cette lettre entre les mains de 'Alî, et elle produisit l'effet escompté.

La fidélité de Qays fut mise en doute et 'Alî voulut le mettre à l'épreuve. Il lui donna l'ordre de prendre immédiatement des mesures fermes contre les contestataires de Kharamba. Qays, ignorant les machinations sournoises de Mu'âwiyeh protesta innocemment contre cet ordre. Sa protestation fut prise pour une épreuve de sa duplicité. Aussi fut-il déposé et Mohammad, fils d'Abû Bakr fut dépêché pour le remplacer.

L'Empiétement de Mu'âwiyeh sur l'Egypte

Dès que Mohammad Ibn Abû Bakr établit son autorité (38 H.), il se mit à pourchasser les partisans de 'Othmân. Ces mesures suscitèrent immédiatement des conflits et des dissensions qui mirent le désordre à travers le pays. Désirant restaurer la paix, le Calife décida de changer de Gouverneur. Il releva Mâlik al-Achtar de son commandement à Nisbine et l'envoya d'urgence en Egypte pour y prendre la tête du gouvernement.

Mu'âwiyeh, qui était derrière tous les troubles en Egypte, se tenait bien informé même des moindres incidents qui s'y produisaient. Lorsqu'il apprit la nomination de Mâlik, il craignit la frustration de ses espoirs par la venue de cet homme capable qui avait été déjà la terreur des Syriens en général et de Mu'âwiyeh lui-même en particulier. Il était donc vital pour Mu'âwiyeh de se débarrasser de Mâlik au plus vite. Pour ce faire, il incita un notable qui vivait aux confins de l'Arabie et de l'Egypte et chez qui Mâlik devrait faire étape au cours de son voyage vers le siège de son gouvernement, à l'empoisonner, en lui promettant de le dispenser de payer la Zakât sur les revenus qu'il collectait dans sa région. Tenté par la vilaine promesse, cette homme empoisonna effectivement son hôte peu soupçonneux avec un poison si mortellement efficace, qu'il avait introduit dans un verre de miel, que Mâlik mourut avant même de quitter la maison.

Dès que Mu'âwiyeh apprit la nouvelle de sa mort, il dit: «Dieu a vraiment des armées de miel»,(149) et il envoya immédiatement 'Amr Ibn al-'Âç à la tête de six mille cavaliers pour s'emparer de l'Egypte pendant qu'elle était plongée dans le désordre. 'Amr s'empressa avec joie de revenir dans ce pays qu'il avait lui-même conquis et qu'il avait gouverné paisiblement pendant des années. Arrivé à Alexandrie, il fut rejoint par Ibn Charigh, le dirigeant du parti othmanite, et avec cette force combinée il s'apprêta à engager la bataille contre Mohammad Ibn Abî Bakr qui conservait encore le nom et l'autorité gouvernementale de 'Alî. Ayant été mis en déroute par 'Amr, Mohammad Ibn Abî Bakr tomba entre les mains de l'ennemi qui l'enferma vivant dans la peau d'un âne, et le ballot fut jeté dans le feu jusqu'à ce qu'il fût réduit en cendres. De cette manière le gouvernement d'Egypte sortit du contrôle de 'Alî pour passer sous celui de Mu'âwiyeh.

'Âyechah fut dramatiquement affligée par la nouvelle du sort tragique qu'avaient réservé à son frère 'Amr Ibn al-'Âç et Mu'âwiyeh. Dans sa douleur inextinguible, elle invoquera désormais la malédiction sur eux à chaque prière.(150) On dit que la tête grillée du frère de 'Âyechah fut amputée du corps et envoyée à 'Âyechah comme cadeau. A la vue de ce cadeau macabre, elle n'oubliera plus jamais sort de son frère et ne mangera plus jamais de viande rôtie jusqu'à sa mort.

L'Empiétement de Mu'âwiyeh sur Basrah

'Alî fut autant profondément attristé par l'assassinat tragique de son fidèle Général, Mâlik al-Achtar, et par la mort cruelle de Mohammad Ibn Abî Bakr, que courroucé par la conduite traîtresse de Mu'âwiyeh dans son empiétement sur l'Egypte. Il se sentit dans l'incapacité de réparer le mal, puisqu'il ne pouvait pas rassembler une armée contre Mu'âwiyeh, malgré tous les discours éloquents qu'il avait vainement prononcés quotidiennement pendant cinquante jours pour inciter les gens à pendre les armes. Son cousin, 'Abdullâh Ibn 'Abbâs, le Gouverneur de Basrah, laissant la charge de son poste à son chancelier, vint à Kûfa pour réconforter 'Alî.

Profitant de l'absence de 'Abdullâh de Basrah, Mu'âwiyeh, qui guettait la moindre occasion de créer des difficultés à 'Alî dépêcha l'un de ses capitaines, nommé 'Abdullâh Hadhramî, à la tête de deux mille cavaliers pour prendre Basrah. Le chargé d'affaires, ne disposant pas de forces suffisantes pour faire face à l'envahisseur, lui abandonna la ville, et demanda un secours urgent au Calife. Une force de secours fut envoyée d'urgence par 'Alî. Elle était dirigée par Jariya Ibn Qidamah.

Après une bataille dure et sanglante, Hadhramî fut défait et chercha refuge dans un château avoisinant, qui fut encerclé et incendié. Le rebelle et soixante-dix soldats qui s'y étaient réfugiés avec lui périrent dans les flammes. La ville fut reprise par les forces de 'Alî, et 'Abdullâh Ibn 'Abbâs, étant entre-temps revenu de Kûfa, reprit son poste. Ces événements eurent lieu en l'an 38 de l'Hégire.

D'Autres Révoltes des Khârijites

La même année, les Khârijites se révoltèrent par grands groupes contre 'Alî, en cinq ou six occasions, et à chaque fois ils furent exterminés et dispersés. Le plus remarquable de ces soulèvements fut celui de Khirrit qui avait incité les Persans, les Kurdes et les Chrétiens d'Ahwâz et de Ram Hurmuz à lever l'étendard de la rébellion. Une armée fut dépêchée à Basrah pour mater la révolte. Khirrit fut tué dans la bataille, et l'autorité du Calife fut restaurée.

La Politique Agressive de Mu'âwiyeh

En l'an 39 de l'Hégire, Mu'âwiyeh lança plusieurs raids sans résultats notables contre le territoire de 'Alî. Ces raids visaient tantôt à faire des ravages dans le pays, tantôt à prélever la Zakât chez les gens, tantôt à montrer à 'Alî la force supérieure de Mu'âwiyeh. L'objectif principal de ces incursions était de contrarier 'Alî et en même temps, de susciter chez ses citoyens un sentiment d'insécurité sous son règne. Quelque huit ou dix raids de ce genre furent lancés dans les différentes parties du territoire sous domination de 'Alî pendant cette année-là.

Par exemple, Sufiyân Ibn 'Awf fut envoyé à la tête d'une grande force pour ravager le territoire s'étendant de Hît à Anbâr et à 'Ayn Tamr. 'Abdullâh Ibn Masûd Fizârî fut envoyé pour collecter la Zakât chez les bédouins de Taymah. Zohak Ibn Qays eut pour mission de surprendre les citadelles de Tha'labiyyeh et de Qatqatana. Pendant la saison du Pèlerinage, un fonctionnaire était chargé de guider les pèlerins dans leurs rites de Pèlerinage à la Mecque. Qothâm Ibn 'Abbâs, le gouverneur de 'Alî, fut obligé de renoncer à l'accomplissement de ses devoirs pendant que le fonctionnaire de Mu'âwiyeh, 'Othmân Ibn Chaybah Abdarî conduisait les rites.

La force dépêchée par 'Alî pour contenir ces actes vexatoires, arriva alors que les Syriens avaient déjà tourné les talons vers la Syrie. Ils furent toutefois poursuivis et rattrapés à Wadî-l-Qorâ où, après quelques escarmouches, ils prirent la fuite. Quelques-uns d'entre eux furent capturés et conduits comme prisonniers au Calife qui les échangea contre ses hommes détenus par Mu'âwiyeh. Bien que ces raids n'aient pas toujours abouti au succès, le but dans lequel ils avaient été organisés était atteint dans une grande mesure, puisque les gens laissaient voir désormais plus que jamais leur tiédeur pour la cause de 'Alî et qu'ils ne faisaient rien pour repousser les envahisseurs qui voulaient les forcer à prêter serment d'allégeance à Mu'âwiyeh.

Une fois, pour repousser les envahisseurs, le capitaine de 'Alî les avait poursuivis jusqu'à Ba'lbak, au coeur du territoire syrien, avant de retourner en Irak, par Riqqah, sans avoir rencontré aucune opposition. En représailles, Mu'âwiyeh fit une incursion dans la profondeur du territoire de 'Alî et campa même pendant plusieurs jours à Mossoul pour montrer son mépris pour le pouvoir de 'Alî. Il retourna à Damas sans être inquiété pour son incursion.

Les Raids de Mu'âwiyeh au Hidjâz

Au début de la quarantième année de l'Hégire, Mu'âwiyeh envoya un officier cruel de son armée avec trois mille cavaliers pour s'emparer de Médine et de la Mecque, les villes sacrées du Hidjâz, et pour lui obtenir l'allégeance de leurs habitants. Lorsque Bosar s'approcha de Médine, le gouverneur de cette ville, Abû Ayyûb s'enfuit à Kûfa, et Bosar entra à Médine sans opposition. Après avoir mis très cruellement quelques Médinois à mort, il menaça les notables de la ville de se livrer à un massacre général, s'ils refusaient de reconnaître Mu'âwiyeh comme étant leur Calife. Ainsi, furent-ils contraints de prêter serment d'allégeance à Mu'âwiyeh. Ensuite, il marcha sur la Mecque et y agit de la même façon.

Et une fois que le serment d'allégeance des Mecquois à Mu'âwiyeh eut été extorqué, le tyran se dirigea vers le Yémen où il décapita plusieurs milliers de partisans de 'Alî. 'Obaydullâh Ibn 'Abbâs, le représentant de 'Alî au Yémen parvint à s'enfuir à Kûfa, mais il laissa derrière lui ses deux petits-fils qui tombèrent finalement dans les mains du tyran et furent mis à mort d'une façon on ne peut plus barbare, en même temps que leur serviteur bédouin qui avait osé protester contre l'assassinat de sang-froid de ces deux garçons.

'Alî, ayant appris la nouvelle de cette incursion, dépêcha immédiatement une armée commandement de Jariya Ibn Qidâmah, mais il était trop tard pour arrêter les outrages. Bosar était déjà sur le chemin de retour en Syrie lorsque l'armée de 'Alî arriva au Yémen. Jariya poursuivit les Syriens à Najrân où ils avaient été accueillis à bras ouverts. A son approche, ils prirent la fuite, mais Jariya procéda à l'exécution de ceux parmi les habitants dont la complicité avec la horde de Mu'âwiyeh qu'ils avaient invitée était évidente, ainsi que de ceux qui s'étaient révolté contre le Gouverneur légal.

Jariya se dirigea ensuite vers la Mecque à la poursuite des fuyards, mais ils étaient déjà partis, là aussi. Il demanda aux Mecquois de renier le serment d'allégeance qu'ils venaient de prêter à Mu'âwiyeh et de renouveler leur hommage à 'Alî. Après quoi il partit pour Médine, où Abû Horayrah, l'un des membres de la faction d'opposition, qui conduisait la prière quotidienne pour le compte de Mu'âwiyeh, se cachait quelque part. Jariya obtint des habitants le serment d'hommage à al-Hassan, le fils de 'Alî, et quitta Médine, après un séjour de quatre jours, pour retourner à Kûfa. Abû Horayrah réapparut après le départ de Jariya et conduisit les prières comme avant.

Le sort cruel subi par les deux garçons de 'Obaydullâh (un cousin de 'Alî) affligea énormément leur père et leur mère, et accabla 'Alî, peut-être plus que tous les autres soucis qui rongeaient son coeur. Il invoqua le courroux de Dieu sur Bosr, priant Dieu qu'il perde sa raison, et il la perdra effectivement, puisqu'il deviendra définitivement fou baveux. Pendant sa démence, il réclamait sans cesse son épée. Ses amis lui fournissaient une épée de bois et une autre creuse pleine d'air. Le misérable frappait son épée de bois contre l'autre, et croyait qu'il avait tué un ennemi à chaque coup.

La Mauvaise Conduite de 'Abdullâh Ibn 'Abbâs

Cependant il y avait quelques chagrins de plus en perspective pour 'Alî. Des plaintes lui parvinrent, faisant état de fraudes et de détournements de fonds aux dépens du trésor public à Basrah. Le Calife convoqua le gouverneur de cette ville pour qu'il lui soumette les comptes du Trésor. 'Abdullâh Ibn 'Abbâs reçut la convocation dédaigneusement, et au lieu d'accéder à la demande, il déserta son poste et s'enfuit vers la Mecque en emportant une grande fortune avec lui. Il fut poursuivi par les habitants de Basrah, mais après un court combat il parvint à arriver à destination sans subir davantage d'ennuis. 'Alî fut très mortifié par cette conduite de son cousin 'Abdullâh Ibn 'Abbâs. 'Obaydullâh Ibn 'Abbâs, le dernier gouverneur du Yémen, un autre cousin de 'Alî qui lui était encore loyal fut envoyé pour remplacer le fuyard.

La Défection de 'Aqîl

Presque à la même époque une autre grande calamité frappa 'Alî. «Son frère 'Aqil se rendit chez Mu'âwiyeh qui le reçut à bras ouverts et lui alloua de grands revenus. 'Aqîl n'invoqua aucun autre motif à sa défection que le fait que son frère 'Alî ne l'entretenait pas proportionnellement à sa qualité». ("History of the Saracens" de Simon Ockley, p. 326).

«'Aqîl se plaignait auprès de 'Alî de la faiblesse de ses ressources et le priait de lui accorder un supplément d'allocation du trésor public. 'Alî repoussa cette demande, mais devant l'insistance répétée de son frère, il lui demanda un jour de le rencontrer pendant la nuit pour qu'ils s'introduisent dans la nuit dans la maison d'un riche voisin, où 'Aqîl trouverait tout ce qu'il lui manquait. "Es-tu sérieux?" lui demanda 'Aqîl avec un mélange de surprise et d'indignation. "Le Jour des Comptes, lui répondit 'Alî, il sera beaucoup plus facile de me défendre contre l'accusation d'un seul individu que contre le cri collectif de toute la communauté musulmane, propriétaire de ce trésor dont tu me demandes de te servir". Selon d'autres versions, lorsque 'Aqil sollicita de son frère l'augmentation de sa pension, ce dernier lui demanda d'attendre un moment, et se retira dans sa maison pour en revenir tout de suite après, avec un fer porté au rouge qu'il tendit à 'Aqh en lui demandant de le prendre avec ses mains. 'Aqh refusa, naturellement. 'Alî lui dit alors: "Si tu ne peux pas supporter une chaleur produite par l'homme, comment veux-tu que j'accepte de m'exposer à un feu allumé par Dieu". 'Aqîl constatant que sa requête ne serait pas satisfaite, quitta Kûfa et rejoignit Mu'âwiyeh». ("Mohammadan History" de M. Price).

Les Plans des Khârijites en vue de se débarrasser des Gouvernants

Le règne de 'Alî fut marqué par des conflits continuels. On ne le laissa jamais vivre et gouverner en paix. La révolte de 'Âyechah, Talhah et Zubayr, la rébellion et les outrages traîtres de Mu'âwiyeh et de 'Amr Ibn al-'Âç, les soulèvements des fanatiques Khârijites, la froideur et l'apathie de ses propres citoyens, l'infidélité de son cousin 'Abdullâh Ibn 'Abbâs, et enfin le plus pénible de tout, la défection de son frère 'Aqîl, l'accablèrent énormément. Ces difficultés se succédant rapidement, accaparaient son esprit.

Cependant, les Khâiijites étaient impatients de détruire le gouvernement de 'Alî en particulier, et tous les gouvernements en général, étant donné qu'ils ne reconnaissaient aucun pouvoir ou autorité en dehors de ceux de Dieu, conformément à leur doctrine fondée sur cette devise: "La hukma illâ lillâh", c'est-à-dire, "le commandement appartient à Dieu seul". Ils s'attendaient à ce que ceux qu'ils appelaient "les gouvernants impies" ('Alî et Mu'âwiyeh, à leur avis) périssent dans le conflit qui les opposait et que le règne du Seigneur prévaille à la fin. En ayant assez de mener une vie retirée, trois d'entre ces fanatiques se rencontrèrent par hasard dans l'enceinte sacrée de la Ka'bah. Ils évoquèrent amèrement le sang qui avait été répandu en vain à Nahrawên et sur d'autres champs de bataille, et déplorèrent le règne de la tyrannie impitoyable et de l'apostasie (selon leurs termes) sur le monde musulman.

Subitement une idée illumina le visage de l'un d'entre eux avec un miroitement d'espoir. Il s'expliqua: «Il est inutile de pleurer les pertes que nous avons subies. Nous devons agir pour redresser les torts. Il ne faut pas que notre sang soit répandu en vain. Que chacun de nous tue l'un des trois oppresseurs des croyants. L'Islam peut être encore libéré et le règne de la droiture peut être encore établi ». Les deux autres approuvèrent avec enthousiasme la suggestion. Les trois zélateurs s'engagèrent par serment à sacrifier leur vie pour leur cause et dirent que le seul moyen valable pour restaurer l'unité et la paix en Islam était la destruction des trois "apostats ambitieux" - Mu'âwiyeh, 'Amr Ibn al-'Âç et 'Alî. Chacun d'eux promit de tuer, sa victime désignée au jour et à l'heure fixés, avec une arme empoisonnée afin de s'assurer d'un coup mortel.

Les trois conspirateurs - Borâq Ibn 'Abdullâh al-Taymî, 'Amr Ibn Bakr al-Taymî et 'Abdul-Rahmân Ibn Muljim se proposèrent de tuer respectivement Mu'âwiyeh, 'Amr Ibn al-'Âç et 'Alî. Le troisième vendredi du mois de Ramadhân prochain fut fixé comme date de l'exécution de leur plan haineux. Leur attentat devrait avoir lieu pendant la prière du matin dans les mosquées de Damas, Fostat et Kûfa. Ayant empoisonné son sabre, chacun d'eux se dirigea vers sa destination: Borâk vers Damas, 'Amr vers Fostat et 'Abdul-Rahmân vers Kûfa.

Attentat contre la Vie de Mu'âwiyeh

Une fois arrivé à Damas, Borâq se rendit le matin du jour fixé et se mêla aux fidèles. Dès qu'il put, il poignarda Mu'âwiyeh à l'aine. Il crut que le coup était fatal, mais tel ne fut pas le cas. En effet, le chirurgien de Mu'âwiyeh, ayant examiné sa blessure, déclara que sa vie pourrait être sauvée soit par cautérisation, soit en buvant une potion qui le rendrait impotent à vie. Mu'âwiyeh avait à choisir entre les deux solutions, et il choisit de boire la potion. Il devint ainsi impotent pour le restant de sa vie. Le coupable avait été arrêté sur le champ. On lui coupa les mains et les pieds et il fut renvoyé chez lui à Basrah, où quelques années plus tard, il eut un fils. Le Gouverneur de Basrah de l'époque le mit alors à mort en lui disant: «Maudit! Tu as engendré un fils pour toi, alors que tu avais rendu le Calife impotent. Tu dois mourir».

Attentat contre la Vie de 'Amr Ibn al-'Âç

'Amr Ibn Bakr, le second conspirateur, était à la mosquée de Fostat le vendredi fixé du mois de Ramadhân. Il porta un coup avec son arme à l'imam pendant qu'il accomplissait la prière. La victime mourut sur-le-champ, mais ce n'était pas 'Amr Ibn al-'Âç, lequel n'avait pas pu venir ce jour-là parce qu'il souffrait de coliques, douleurs auxquelles il dut de rester en vie. C'était Kharijah qui conduisait la prière à la place de 'Amr Ibn al-'Aç. L'assassin fut capturé et conduit devant 'Amr Ibn al-'Âç, dans sa cour où il découvrit son erreur: «C'est toi que je visais, Ô tyran!», s'écria le prisonnier en voyant 'Amr Ibn al-'Âç, lequel lui répliqua calmement: «Tu m'a visé, mais le Seigneur t'a visé», et il ordonna qu'on l'exécutât immédiatement.

Attentat contre la Vie de 'Alî

Le troisième des conspirateurs, 'Abdul-Rahmân Ibn Muljim, s'accommoda, à son arrivée à Kûfa, avec une femme, une belle servante de la secte Khârijite, dont le père, le frère et d'autres proches parents avaient été tués à Nahrawân. 'Abdul-Rahmân tomba follement amoureux de cette demoiselle et lui proposa le mariage. Qatam, comme on l'appelait, répondit que son mari ne pourrait être que celui qui lui apporterait une dot consistant en la tête de 'Alî, trois mille dirhams en argent, un esclave et une servante. Il accepta tout de suite les conditions. Qatam le présenta alors à deux autres mécréants, l'un nommé Werdân, un Khârijite disposé à se venger lui-même de 'Alî, et l'autre nommé Chuhayb. Tous les deux s'apprêtèrent avec joie, à aider 'Abdul-Rahmân dans son entreprise infâme. Les trois hommes se rendirent à la mosquée le matin du vendredi fixé, et lorsque 'Alî apparut pour diriger la prière, Werdân et Ibn Muljim parvinrent à se placer juste derrière lui pour la prière. Dès que celle-ci eut commencé, Werdân porta un coup à 'Alî, mais le manqua. Le second coup fut administré par 'Abdul-Rahman. Il fut d'une précision fatale.

Le coup toucha la tête, au même endroit où 'Alî avait été blessé dans une bataille du vivant du Prophète. Dans la confusion générale s'ensuivit, les trois assassins parvinrent à s'échapper. Wardân courut vers sa maison, mais il fut suivi par un poursuivant qui le rattrapa et le tua. Chuhayb fuit pour de bon et on n'entendra plus parler de lui. 'Abdul-Rahmân se cacha pendant un certain temps. Lorsqu'on demanda à 'Alî qui était son assassin, il répondit: «Vous le verrez bientôt».

'Abdul-Rahmân ayant été découvert caché dans un coin de la mosquée avec son sabre taché de sang, on lui demanda s'il était le coupable. Il hésita un moment, mais fut vite contraint par sa conscience à reconnaître sa culpabilité. On l'arrêta et on l'emmena devant 'Alî qui confia sa détention à son fils al-Hassan à qui il ordonna, avec sa clémence habituelle: «Fais en sorte qu'il ne lui manque rien, et si je meurs des suites de ma blessure, fais en sorte qu'il meure d'un seul coup».

On dit que la blessure était fatale, et elle le sera effectivement. 'Alî dit qu'il avait soif, et on lui apporta un verre de sirop. En même temps le prisonnier demanda un peu d'eau à boire. Avec la générosité qui lui était coutumière et qui était un trait caractéristique de sa vie, 'Alî lui offrit son propre verre de sirop.

Les Présages de 'Alî relatifs à sa Mort

Durant tout le mois de Ramadhân pendant lequel il fut assassiné, il eut plusieurs présages de sa mort et, en privé, il laissa échapper, de temps en temps, quelques mots à ce propos. Une fois qu'il avait été victime d'un sérieux malaise, on l'entendit dire: «Hélas mon coeur! On a besoin de patience, car il n'y a pas de remède à la mort». Peu avant le vendredi 19 de ce mois-là, il était sorti de sa maison tôt le matin, pour aller à la mosquée.

«On dit qu'à sa sortie les oiseaux domestiques s'étaient montrés particulièrement bruyants dans la cour, et que l'un de ses serviteurs ayant lancé sur eux un gourdin pour les faire taire, 'Alî lui dit: "Laisse-les, leurs cris ne sont que des lamentations présageant ma mort"». ("History of the Saraceens" de S. Ockley, p. 328).

La Mort de 'Alî en l'An 40 H.

'Alî fut blessé le vendredi 19 Ramadhân de l'an 40 H., à la mosquée de Kûfa où il s'était rendu pour conduire la prière du matin comme d'habitude. Il fut immédiatement ramené chez lui. Il survécut trois jours à sa blessure.

«Là, il fit venir ses fils, al-Hassan et al-Hussayn, à ses côtés et leur conseilla de rester fermes dans leur piété, de se résigner à la Volonté de Dieu, et d'être bons envers leur frère cadet, al-'Abbâs, le fils de sa femme Hanifite. Ensuite, il écrivit son testament, et continua à prononcer le nom du Seigneur jusqu'à ce qu'il ait rendu le dernier soupir». ("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir, p. 414).

Il mourut des suites de sa blessure, le lundi 21 Ramadhân, à l'âge de soixante-trois ans.

«Ses restes mortels furent ensevelis à environ sept kilomètres de Kûfa, et plus tard une très belle tombe, couverte par une mosquée dotée d'une magnifique dôme, fut dressée au-dessus de son tombeau. Ce site devint une ville importante, appelée, al-Najaf al-Achraf (Machhad 'Alî), ou le Sépulcre de 'Alî, et il fut enrichi et embelli par plusieurs monarques persans». ("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 187).

On dit que le Sépulcre de 'Alî avait été maintenu dissimulé durant le règne des Omayyades.

L'Oeuvre Littéraire de 'Alî

«'Alî jouit d'une grande réputation de sagesse parmi de tous les Musulmans sans distinction de tendances. Il subsiste encore de lui un recueil de cent sentences qui a été traduit de l'arabe en turc et en persan. Il y a également un recueil de vers de lui, colligés sous le titre d' "Anwâr al-'Aql". La bibliothèque "Bodleian" conserve un livre volumineux contenants ses sentences. Mais son plus célèbre écrit a pour titre "Jafr wa Jam". Il est écrit sur un parchemin avec des caractères mystiques mélangés à des figures, et il relate ou symbolise tous les grands événements survenus ou à survenir depuis l'avènement de l'Islam jusqu'à la fin du monde. Ce parchemin, qui fut déposé chez sa famille, n'est pas encore déchiffré. Ja'far al-Çâdiq avait en effet réussi à l'interpréter partiellement, mais l'explication complète en est réservée au douzième Imam, surnommé "Al-Mahdî" ou "Le Grand Guide». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 332).

Les savants dans la langue arabe doivent beaucoup de reconnaissance à 'Alî qui a fixé les règles de la composition correcte de la langue arabe en construisant(151) la grammaire dont l'absence constituait un grand défaut pour la littérature, et dont le manque se faisait profondément sentir pour l'écrivain.

Des Anecdotes de la Vie de 'Alî

Les anecdotes suivantes de la vie de 'Alî sont principalement tirées de "Oriental Table Talk" (livre traduit en anglais par Jonathan Scott Esqr, voir "Oriental Collections" d'Ouseley)(152):

Un jour, alors que Mohammad et 'Alî mangeaient des dattes ensemble, le premier plaça les noyaux sur l'assiette du second inconsciemment. Ayant fini leur repas, le Prophète dit: «Celui qui a le plus de noyaux a mangé le plus». «Non, lui dit 'Alî, celui qui a mangé le plus, c'est sûrement celui qui a avalé aussi les noyaux».

Un Juif dit un jour au vénérable 'Alî, en discutant sur la vérité de leurs religions respectives: «Vous vous êtes mis à vous disputer avant même d'avoir enseveli le corps de votre Prophète». 'Alî lui répondit: «Nos divisions étaient la conséquence de sa perte, et ne concernaient pas notre foi; mais vous, la boue de la Mer Rouge n'avait pas encore séché sur vos pieds que vous vous êtes mis à crier à l'adresse de Moïse: "Fais-nous des dieux semblables à ceux des idolâtres afin que nous les adorions"». Le Juif se sentit confus.

Un jour, une personne se plaignit auprès de 'Alî en lui disant: «Un homme a déclaré qu'il avait rêvé qu'il couchait avec ma mère. Ne puis je pas lui infliger une punition selon la Loi ?» «Quelle punition?, lui répondit 'Alî. Mets-le au soleil et frappe son ombre, car que peut-on infliger à un crime imaginaire, sinon un châtiment imaginaire?».

Une Décision Ingénieuse de 'Alî

On attribue la décision suivante à l'ingéniosité de 'Alî:(153) «Deux voyageurs s'étaient assis pour manger. L'un avait cinq pains, l'autre en avait trois. Un étranger leur demanda la permission de manger avec eux, et ils acceptèrent sa requête avec hospitalité. Après le repas, l'étranger laissa huit pièces d'argent pour sa participation au repas et partit. Le voyageur qui avait cinq pains prit cinq pièces et en laissa trois à l'autre, lequel voulait absolument avoir la moitié de l'argent laissé par l'étranger. L'affaire fut portée devant 'Alî pour qu'il la jugeât, et il prononça le jugement suivant: "Que le propriétaire des cinq pains prenne sept pièces d'argent et l'autre une seule". C'était la proportion exacte de ce que chacun d'eux avait offert à l'étranger. En effet, en divisant chaque pain en trois parts, les huit pains firent vingt-quatre parts. Et étant donné que chacun des trois participants avait mangé une portion égale à celle de chacun des deux autres, chaque portion était du tiers de la totalité, soit huit parts. L'étranger avait donc mangé sept parts des cinq pains et seulement une part des trois pains, et c'est de cette manière que le Calife divisa l'argent entre les deux propriétaires des pains». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 336).

«La chevalière de 'Alî portait l'inscription:(154) "L'Omnipotent Dieu est Excellent", ou selon un autre récit: "Le Royaume appartient à l'Unique Tout-Puissant Seigneur". Il avait l'habitude de balayer le Trésor Public et d'y prier ensuite, dans l'espoir qu'on témoignerait (en sa faveur) qu'il n'aurait pas gardé, cachée aux Musulmans la propriété de l'Etat qu'il renfermait.(155)

On attribue à 'Alî la citation de cinq cents vingt-six hadiths rapportés directement du Messager de Dieu.(156)


source : sibtayn
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