L’ensemble des préceptes fondamentaux régissant le droit musulman est communément désigné du nom de charia. Le terme est d’un usage ancien et n’a soulevé de controverses que depuis cinquante ans. On peut dire que, pour les adversaires du "monde occidental" et de sa culture comme pour leurs défenseurs les plus farouches, le mot est utilisé à la manière d’un épouvantail. Tout se passe comme s’il marquait, pour les premiers, ce qui dans l’Islam doit rester incompréhensible voire inadmissible pour les seconds, lesquels, de leur côté, ne se privent guère de faire usage du même mot pour désigner ce qui, dans ce même Islam, leur apparaît comme rétrograde, figé et surtout inhumain. En usant du même vocable comme d’un outil politique et psychologique, les deux antagonismes semblent jouer chacun le jeu de l’autre et rendre antinomiques les droits de Dieu et ceux de l’homme, vision récusée par un grand nombre de pratiquants sincères, pour qui la transcendance divine ne peut être conçue qu’à travers l’immanence de la foi. Il importe dès lors, pour y voir plus clair, d’essayer de comprendre quelle réalité a été caricaturée par l’épouvantail censé la représenter.
Que veut dire le mot? La racine dont il dérive évoque une ouverture sur le monde extérieur et un mouvement vers lui, tel le cheminement des troupeaux vers l’abreuvoir. Le mot suggérerait donc un ordre, une organisation venue de l’intérieur et communiqués ou imprimés à un monde extérieur resté à l’état de nature.
Ainsi peut-on comprendre que, par une évolution sémantique familière à la langue arabe, ce vocable très concret dans ses acceptions premières ait fini par désigner un concept complexe et abstrait, c’est-à-dire l’acte de légiférer, ou la législation. La racine suggère également le commencement d’un processus, ce qui s’accorde assez bien avec l’idée d’un exercice du pouvoir législatif. En outre, la même racine évoque la voile du bateau, ce par quoi celui-ci s’élève vers le ciel et s’élance vers le large et, enfin, la voie bien tracée, l’avenue.
Le mot de charia existait avant la révélation coranique et désignait la simple législation sans connotation religieuse particulière. Certains dérivés de cette même racine sont d’ailleurs restés dans le champ sémantique du droit positif. C’est ainsi que le terme qououat tachri’iya veut dire pouvoir législatif par opposition aux pouvoirs exécutif et judiciaire dans tout système démocratique, fût-il laïque.