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Lettre adressée par l’Imam Ali as à Malik ibn Hareth



Il s’agit de la plus longue lettre écrite par l’Imam Ali as. La lettre est adressée par l’Imam à Malek Ibn Hareth Al-Achtar à l’occasion de son investiture comme gouverneur de l’Egypte quand des troubles éclatèrent sous le mandat de Mohammad ibn Abi Bakr, son prédécesseur.

 

« Voici les ordres que donne Ali, Serviteur de Dieu, l’Emir des croyants, à Malek Ibn Hareth Al-Achtar chargé du gouvernorat de l’Egypte : Percevoir les entrées de l’Etat, combattre ses ennemis, améliorer le sort de ses habitants et assurer la prospérité du pays.

 

Il lui prescrit d’obéir à Dieu et de le craindre, de suivre strictement les ordres formulés dans son Livre, dans ses obligations comme dans ses surérogations, car nul ne peut être heureux qu’en s’y conformant, ni être malheureux que s’il les renie et s’en détourne.

 

Il lui ordonne de servir Dieu de son cœur, de sa main et de sa bouche, le Seigneur ayant promis la victoire à qui le sert et la puissance à ses partisans.

 

Il lui recommande aussi de dompter ses passions et de ne pas se laisser entraîner par celles-ci, car elles conduisent vers le mal et n’épargnent que ceux qui jouissent de la protection de Dieu.

 

Apprends que je t’envoie dans un pays qui a connu avant toi des situations marquées par la justice comme par l’oppression.

 

Les gens critiqueront tes actions de la même manière que tu critiquais celles de tes prédécesseurs et diront de toi ce que tu disais d’eux.

 

On reconnaît les justes par les paroles que Dieu mettra à leur sujet dans la bouche de ses adorateurs ; fasse en sorte que les plus précieux trésors soient les bonnes actions !

 

Maîtrise tes penchants abstiens- toi de ce qui n’est pas licite, car la maîtrise de l’âme s’accomplit en se détournant de ses passions (Prendre soin de son âme c’est ne pas lui accorder tout ce qu’elle désire mais c’est l’obliger à supporter ce qu’elle déteste).

 

Fais que ton cœur soit compatissant, tendre et doux envers les administrés, ne sois pas un fauve qui ne songe qu’à en faire sa proie ; ils sont de deux sortes : un frère en Dieu ou bien un congénère, tous deux sujets à des lapsus et en butte à des erreurs commises consciemment ou inconsciemment.

 

Offre-leur ton pardon et ta mansuétude comme tu souhaites que Dieu en fasse pour toi. Tu te trouves en position de supérieur à leur égard, comme l’est vis-à-vis de toi celui qui te nomme. Mais Dieu est au-dessus de nous tous.

 

Dieu t’a confié la charge de leurs affaires pour t’éprouver.

 

Ne te dresse pas contre les ordres de Dieu car, face à lui, tu es impuissant et n’es pas à même de te passer de son pardon et de sa miséricorde.

 

Ne regrette jamais un acte de pardon et ne te vante pas d’une sanction que tu auras infligée. Evite de prendre hâtivement une initiative de ce genre, si la possibilité d’agir autrement s’offre à toi. Ne te dis jamais : « Je suis investi, j’ordonne et on m’obéit » ; car cela pourrit le cœur, affaiblit la foi et précipite les troubles.

 

S’il t’arrive d’être trompé par ce dont tu disposes comme moyens de puissance et de grandeur, observe la grandeur de l’empire de Dieu au-dessus de toi, sa puissance sur toi et son aptitude à réaliser ce dont tu es incapable en toi-même. Ceci diminuera tes ambitions, réduira ta violence et te rendra ce que tu aurais perdu de clairvoyance.

 

Prends garde de ne pas vouloir t’élever à la hauteur de Dieu et de lui ressembler dans son omnipotence. Allah avilit tout oppresseur et méprise tout orgueilleux.

 

Observe les droits de Dieu et ceux de ses créatures sur ta personne, sur les tiens et sur ceux de tes administrés qui te sont particulièrement chers. Si tu ne fais point ainsi, tu seras oppresseur !

 

Et celui qui opprime les créatures de Dieu, ce dernier se substituera à celles-là et deviendra son adversaire. Et quiconque sera l’adversaire de Dieu verra fondre ses arguments. Car Allah le combattra jusqu’à ce qu’il se soumette ou se repentis.

 

Rien n’appelle au changement des faveurs de Dieu et à la précipitation de sa vengeance plus que le maintien de la tyrannie ; prête particulièrement oreille aux prières des opprimés et observe attentivement les oppresseurs.

 

Que ton choix tombe toujours sur la solution la plus médiane dans la vérité, la plus générale dans la justice, celle qui réussit le plus à recueillir le consentement des administrés. Car l’irritation du peuple rend inefficace le consentement de l’élite alors que l’irritation de la seconde peut être compensée par le consentement du premier.

 

A l’égard du chef, personne n’est plus préoccupant que l’élite en période de stabilité, moins assistant en temps de difficultés, plus réticent à agir selon la justice, plus insistant en demande, moins reconnaissant des offres, moins disposé à comprendre en cas de refus, et moins tenace en cas de malheurs.

 

Par contre, la force de la religion, le facteur d’unification des musulmans et le rempart de la nation face à l’ennemi restent les gens du peuple.

 

Accorde- leur plus d’attention. Fasse que le plus éloigné de toi parmi les administrés soit celui qui cherche le plus les défauts d’autrui. Les hommes sont imparfaits, certes, mais il incombe à leur chef, en premier lieu, de couvrir leur imperfection. Ne cherche jamais à dévoiler ce qui échappe à ton regard. Ton devoir est d’en corriger ce qui te tombe sous les yeux. Dieu est seul juge de ce qui t’échappe.

 

Protège d’un voile autant que faire se pourra leurs défauts et Dieu en fera de même pour toi à leur égard.

 

Libère les hommes de la rancune que nourrissent les uns pour les autres, et défais- toi de tout ce qui est à même de t’attirer leur haine en fermant les yeux sur ce qui ne te parait pas clair. Ne t’empresse pas de donner raison à n’importe quel délateur car il est, de nature, corrompu quoique se montrant homme de bonne foi.

 

N’écoute pas les conseils d’un avare qui risquera de t’entraîner dans l’avarice en dressant devant toi le spectre de l’appauvrissement. Ni ceux d’un lâche qui te rendra indécis, là où la détermination sera chose nécessaire, encore moins ceux d’un avide qui, par l’injustice, embellira pour toi la cupidité. Car l’avarice comme la lâcheté et la cupidité sont des qualités différentes, ayant comme dénominateur commun l’absence de confiance en Dieu.

 

Le pire de tes collaborateurs est celui qui fut d’abord partisan et complice des criminels. Qu’il ne fasse pas partie de ton conseil. Considère-le comme collaborateur des malfaiteurs et des oppresseurs. Tu trouveras, à leurs places, d’autres collaborateurs aussi clairvoyants et jouissant d’aussi grande audience qu’eux, mais n’ayant pas commis de crimes aussi ignobles, ni assisté un tyran dans son action d’oppression ou un pécheur dans ses péchés.

 

Ceux-là seront pour toi, moins encombrants, plus assistants, plus proches de toi et moins attachés à d’autres.

 

Qu’ils soient donc tes proches collaborateurs aussi bien dans l’intimité qu’en public. Que le plus écouté de toi soit celui qui te fera entendre les plus amères vérités et le moins écouté celui qui t’aide à faire ce que Dieu ne permet pas à ses représentants. Attache-toi aux pieux comme aux honnêtes : habitue- les à ne pas te flatter, ni à te faire des éloges sur ce que tu n’auras pas fait car la flatterie engendre la vanité et mène à l’orgueil.

 

Que les bienfaisants et les malfaisants ne soient pas traités sur le même pied pour ne pas décourager les premiers et encourager les seconds. Réserve à chacun des deux groupes le traitement qu’il mérite.

 

Rien n’autorise un dirigeant à s’assurer la bonne foi de ses administrés mieux que le bon comportement à leur égard, l’allégement de leurs charges et le refus d’exiger d’eux ce dont ils ne sont pas capables. Que cela soit un moyen par lequel tu prouves à tes sujets les bonnes intentions que tu nourris à leur égard. Car leur confiance en toi aidera à te faciliter la tâche.

 

Plus tu uses de bons procédés envers eux, plus tu t’assures leurs bonnes intentions et vice versa.

 

N’abolis pas une bonne tradition instituée par les anciens de cette nation, et ayant été l’objet d’un consensus pour Te bien des administrés. N’introduis aucune innovation qui puisse porter préjudice aux traditions déjà établies. La rémunération en reviendrait à celui qui les aurait établies alors que la conséquence fâcheuse en retomberait sur toi pour autant que tu les aurais abolies.

 

Fréquente assidûment les gens de science, discute souvent avec les sages pour pouvoir affermir les bons principes qui assurent la bonne marche du pays et consolider les bonnes pratiques qui ont été celles de tes prédécesseurs.

 

Sache que tes administrés se retrouvent en catégories intimement liées les unes aux autres de telle sorte qu’aucune d’entre elles ne saurait être saine si les autres ne le sont pas. Parmi celles-ci il y a : les soldats de Dieu, les agents des affaires, les magistrats, les scribes, les contribuables tant musulmans que d’autres religions, les commerçants et les artisans. Il y a également la classe des déshérités et des pauvres. Dieu a fixé le droit comme le devoir de chacun soit dans son Livre, soit dans la Sunna (tradition) du Prophète, que Dieu soit satisfait de lui. Il s’agit d’un dépôt qu’il nous a confié et que nous protégeons.

 

Les armées sont, par la Grâce de Dieu, le rempart du peuple, la gloire des dirigeants, la force de la religion, le garant de la sécurité ; les affaires de la nation ne peuvent prospérer que par leur présence.

 

Les armées ne peuvent être sur pied que s’il leur est remis la part de la zakat que Dieu leur a accordée, afin qu’elles soient puissantes dans le combat contre l’ennemi, qu’elles puissent compter dessus pour se perfectionner et l’utiliser pour leur entretien.

 

Mais ni les armées ni le peuple ne pourraient être d’utilité sans le soutien d’une troisième catégorie, celle des magistrats, des scribes et des agents des affaires publiques et privées, vu les contrats que ces derniers établissent et la confiance que l’on place en eux en ce qui concerne les affaires de l’Etat comme des particuliers.

 

Mais tous ne peuvent prospérer que grâce aux commerçants et aux artisans, par les services qu’ils rendent dans les marchés et en d’autres lieux pour accomplir des tâches dans des domaines où les autres se sentiraient incapables. Les nécessiteux et les déshérités, quant à eux, ont le droit de recevoir aide et secours.

 

Dieu n’a omis le droit de personne. Chacun a, dans la mesure de ses besoins, des droits sur l’administrateur ; ce dernier ne trouvera d’excuses, pour ce dont Dieu l’a chargé, qu’en s’occupant d’eux, en s’appuyant sur l’aide de Dieu et en habituant avec patience son âme à l’amour de la justice dans l’accomplissement de ses fonctions, fussent- elles grandes ou petites.

 

Mets à la tête de tes troupes, celui que tu penses être le plus sincère envers Dieu, son Messager et son Imam, le plus fidèle, le plus intelligent, non pas celui qui se met vite en colère, mais celui qui sait pardonner, être indulgent envers les faibles et dur avec les puissants, celui qui ne se laisse emporter ni par la violence ni par la faiblesse.

 

Sois en contact permanent avec les hommes de bravoure et de bonnes lignées, ceux de bonnes familles connues pas leurs antécédents honorables, puis les hommes courageux, secourables, généreux et indulgents. Car tous forment un ensemble de noblesse et de reconnaissance.

 

Intéresse-toi à leurs situations comme le ferait un père à l’égard de ses enfants, ne donne pas d’importance à ce que tu leur accordes pour les relever ni ne mésestime la plus petite des amabilités que tu aurais à leur égard ; par cela tu te les rends loyaux et ils auront bonne opinion de toi. Fais de manière à ce que leurs affaires importantes ne te fassent pas oublier leurs petites affaires, car de ces dernières ils tirent profit et des premières ils ne peuvent pas se passer.

 

Accorde la plus grande considération aux chefs de troupes qui aident le mieux leurs hommes, qui leur confèrent le plus de ce dont ils disposent pour leur permettre de satisfaire leurs besoins et ceux de leurs familles laissées derrière eux, afin que leurs sentiments soient identiques dans le combat contre l’ennemi. La sympathie que tu auras pour eux domptera pour toi leurs cœurs.

 

Les choses les plus agréables et les plus précieuses pour un administrateur sont l’épanouissement de la justice dans le pays et les manifestations d’amitié entre les administrés. Leur amitié ne peut apparaître que si leurs cœurs sont purs, et leurs comportements ne peuvent être sincères que s’ils protègent leurs dirigeants, que s’ils acceptent volontiers leurs décisions.

 

Donne-leur l’occasion de réaliser leurs espoirs, complimente- les constamment, ne passe pas sous silence leurs bonnes œuvres et leur bravoure, car cela donne plus de force au courageux et enthousiasme le traînard, par la volonté de Dieu.

 

Puis reconnais pour chacun ce qui lui revient. N’attribue jamais l’œuvre de quelqu’un à celui qui n’en est pas l’auteur et n’en diminue pas les mérites. Que le rang d’une personne ne te fasse pas exalter ou déprécier son action avec exagération.

 

Pour trancher dans les situations difficiles, réfère-toi à Dieu et à son Messager. Dieu s’adresse à ceux qu’il veut conduire dans la bonne voie : « Ô croyants ! Obéissez à Dieu, à son Messager et à ceux d’entre vous qui exercent l’autorité. Si un différend, vous sépare, référez-vous à Dieu et au Messager ».

 

La référence à Dieu c’est de se conformer à son Livre et la référence au Prophète, c’est de faire usage de sa tradition qui unit et ne sépare point.

 

Choisis comme juges, parmi tes administrés, ceux pour qui tu as le plus d’estime, ceux qui ne s’impatientent pas, que les plaignants ne rendent pas acariâtres, qui ne persistent pas dans l’erreur, qui n’agissent pas par cupidité, qui étudient ce qui leur est soumis dans toute sa profondeur et non pas superficiellement, qui ne tranchent pas rapidement sans réfléchir, s’ils n’ont que des présomptions ; qui se réfèrent le plus aux preuves et éprouvent le moins d’ennuis à écouter les adversaires, qui patientent le plus pour permettre aux affaires de s’éclaircir, qui sont les plus fermes lorsque le droit est apparent, qui ne se laissent réjouir ni par les éloges ni par les tentations. Et ceux-là leur nombre est réduit.

 

Multiple les contacts avec eux et sois large envers eux, pour leur permettre de faire face à leurs besoins et de ne pas dépendre d’autrui : Place-les auprès de toi et donne-leur un rang auquel nul d’entre tes proches ne peut prétendre afin de les protéger contre tout assassinat.

 

Médite profondément sur ces recommandations. Car cette religion a été prisonnière des méchants qui s’en servaient selon leurs caprices et pour les biens de ce monde.

 

Observe bien le comportement de tes fonctionnaires et choisis-les après les avoir mis à l’épreuve, ne les nomme pas par favoritisme ou par égoïsme, ces deux défauts font partie des ferments de l’iniquité et de la trahison.

 

Discerne parmi eux les gens d’expérience et de décence issus des familles honorables ayant opté tôt pour l’Islam. Ils ont le meilleur comportement, les meilleurs mœurs, ont le moins de convoitises et sont les plus sagaces sur les conséquences des décisions.

 

Comble-les de faveurs, cela les aidera à élever leurs sentiments, à ne pas être tentés de puiser dans ce qui dépend d’eux, et constitue également une preuve à leur charge s’ils contredisent tes ordres ou trahissent ta confiance.

 

(5s) Contrôle leurs activités, fais- les inspecter par des gens loyaux et sincères. Tu les inciteras ainsi au respect de la confiance mise en eux et les rendra bienveillants envers les administrés.

 

Sois circonspect envers tes proches collaborateurs, si l’un d’eux penche vers la trahison tu trouveras des informateurs qui seront tes yeux pour te prévenir, et te suffiront comme témoins. Alors tu pourras lui appliquer des sanctions et le punir en conséquence en le mettant dans une situation avilissante, en le marquant du sceau de la trahison et de la honte.

 

Occupe- toi de la terre dans l’intérêt de ceux qui la travaillent car l’abondance des produits de la terre et la prospérité des producteurs conditionnent le bien-être d’autrui, pour la simple raison que les hommes sont tributaires de la terre et de ceux qui en assurent la mise en valeur.

 

Sois plus préoccupé du bon état des terres que des entrées qu’elles peuvent rapporter, car ces dernières ne peuvent te parvenir que si les premières sont bien entretenues. Celui qui demande l’impôt sur les terres, sans s’occuper de leur entretien, ruine le pays et rend la vie difficile au peuple, et son autorité sortira de cette situation affaiblie. Les paysans peuvent se plaindre du poids de l’impôt, d’une calamité, d’une pénurie d’eau, de brume, d’inondation ou de sécheresse ayant dévasté la terre.

 

Allège alors l’impôt dans des proportions que tu trouveras susceptibles d’améliorer leurs conditions.

 

Que ce dont tu les dispenses ne soit pas considéré comme inutile. Il n’est rien d’autre que des épargnes dont ils se servent pour développer le pays et embellir ton Etat ; tout en te rendant digne de leur éloge et en te permettant ainsi de voir l’équité couvrir le pays. Leur force te servira d’appui grâce à leur prospérité et la confiance ne te fera pas défaut grâce à cette équité à laquelle tu les as habitués et à l’esprit d’indulgence par lequel ils te reconnaissent. Ce faisant, il peut arriver qu’une situation puisse t’obliger à leur demander un appui.

 

Alors ils accueilleront cette demande du fond du cœur ; ainsi va de la prospérité, elle est à même de supporter toutes les charges. La ruine d’un pays provient de l’appauvrissement de ceux qui vivent des produits de la terre et cet appauvrissement est le résultat de l’avidité des dirigeants qui ne s’attendent pas à régner pendant longtemps et ne tirent pas profit des leçons du passé.

 

Examine bien la situation de tes secrétaires et choisis les meilleurs d’entre eux pour leur confier tes affaires, pour s’occuper de ta correspondance qui pourrait révéler tes stratagèmes et tes secrets.

 

Nomme parmi eux ceux qui font montre de vertu et de modestie ; ceux-là ne chercheront pas à l’exploiter, en présence d’un public, pour te contredire ; non pas ceux qui par imprudence ou par négligence ne te transmettent pas fidèlement et avec rapidité la correspondance en provenance de tes gouverneurs et n’y répondent pas avec dévouement. Ceux qui n’affaiblissent pas tes directives et ne restent pas incapables de liquider une affaire qui pourrait te porter préjudice ; ceux qui sont conscients du rôle qu’ils jouent, car celui qui ignore l’importance de son rôle en ferait autant pour celui d’autrui.

 

Ne choisis pas ces fonctionnaires selon ton intuition, ta confiance et la bonne opinion que tu pourrais en avoir.

 

Ces hommes savent leurrer les chefs et s’attirer leur sympathie par la flatterie et les bons offices, alors que derrière tout cela il n’y a ni bon conseil ni honnêteté.

 

Apprécie- les selon les services qu’ils ont rendus à tes prédécesseurs, et élis parmi eux celui qui a laissé la meilleure impression sur l’ensemble de la nation et qui est réputé par sa probité. Un tel choix sera une preuve de ta sincérité envers Dieu et envers tes administrés.

 

Mets à la tête de chaque service tout fonctionnaire qui ne craint pas les affaires difficiles et qui ne s’embrouille pas par leur diversité. T’incombera la responsabilité de toute défaillance de la part de tes fonctionnaires sur laquelle tu aurais fermé les yeux.

 

Veille sur les négociants et les artisans, recommande qu’on les traite avec bienveillance, qu’ils soient établis, ambulants ou bien travailleurs manuels. Car ils sont sources de biens et de profits qu’ils drainent de loin par terre, par mer, à travers les plaines et les monts, assurant aux gens ce qu’ils sont incapables d’obtenir. Cela te garantira une paix durable et un pacte respecté.

 

Examine leurs activités dans les coins les plus reculés de ton Etat.

 

Sache, néanmoins, que parmi eux nombreux sont ceux qui sont durs en affaires, cupides, accapareurs, dominateurs dans les marchés, ce qui est source de préjudices à la nation et une tare pour le gouvernant.

 

Prohibe tout acte de monopole, car le Messager de Dieu l’a interdit.

 

Que le négoce se déroule dans une ambiance de mutuelle bienveillance, que les mesures soient justes et que les prix ne lèsent ni l’acheteur ni le vendeur. Si quelqu’un exerce le monopole, punis-le avec 6quité et en l’absence de tout excès.

 

Par Dieu ! Par Dieu ! Je t’adjure de veiller sur la classe déshéritée et dépourvue ; celle des pauvres, des nécessiteux, des miséreux et des invalides. Parmi eux il y en a qui se plaignent et d’autres qui se résignent. Veille sur les droits que Dieu leur a accordés et dont il t’a chargé.

 

Prélève, en leur faveur, une part du trésor public, et une part des revenus des terres confisquées par les musulmans.

 

Le plus éloigné y a autant de droits que le plus proche, et tu es responsable de la part de chacun.

 

Ne méprise pas leurs droits ; car le fait de t’occuper des grosses affaires n’est pas une excuse pour négliger les petites. Ne t’en détourne pas par orgueil.

 

Va au devant de celui qui, par le mépris dont il est victime de la part de ton entourage, n’a pas accès auprès de toi.

 

Affecte pour eux des hommes pieux et modestes qui te feront parvenir leurs doléances ; puis ménage-les de telle sorte que tu puisses demain, devant Dieu, trouver une excuse. Car cette classe de la nation a, plus que les autres, besoin d’équité. Fais respecter aussi les droits de Dieu sur l’ensemble de la nation, pour faire preuve de sincérité envers lui.

 

Informe- toi de l’état des orphelins et des gens âgés qui n’ont pas de moyens pour supporter leurs situations. Il s’agit d’une lourde charge pour les dirigeants. La justice est toujours pesante mais Dieu allège le fardeau de ceux qui, sollicitant la récompense dans l’autre monde, se résignent à en porter la charge et à croire aux promesses divines.

 

Consacre une partie de ton temps à des audiences données sans la présence de tes soldats et de tes collaborateurs, – gardes et police – pour rencontrer ceux qui prétendent être lésés dans leurs droits, afin de leur permettre de s’exprimer sans crainte, ni hésitation, car j’ai entendu le Messager de Dieu déclarer plus d’une fois : « Dieu ne bénit pas une nation où il n’est pas donné sans hésitation, au faible ses droits sur le fort ».

 

Souffre leurs écarts, le manque de clarté dans leurs dépositions, mets-les à l’aise, garde ton calme et ta modestie : ce faisant, Dieu t’enveloppera de sa miséricorde et de sa clémence et récompensera ton obéissance.

 

Tout ce que tu donnes, accorde- le de bon cœur, que ton refus soit assorti de délicatesse et d’excuse.

 

Il est des affaires que tu dois traiter personnellement, entre autres : répondre à tes agents chaque fois que tes fonctionnaires éprouvent l’incapacité de trancher avec célérité, satisfaire les doléances qui te parviennent avec une note déplaisante à tes collaborateurs. Adopte un programme de travail pour chaque jour, car chaque jour apporte son travail.

 

Consacre les meilleurs moments de ton temps à Dieu, qu’ils en soient la plus grande partie. Cela ne peut pas être source de reproche pourvu que tes actes soient rendus de bonne foi et pour l’intérêt de la nation. Que le respect des obligations de Dieu soit l’une des activités à laquelle tu t’adonnes dans le but de servir fidèlement ta religion.

 

Offre ta personne à Dieu nuit et jour, acquitte-toi de ce qui t’en rapproche sans diminution, ni omission et en exigeant de ton corps ce qu’il faut.

 

Si tu diriges la prière ne sois pas lassant car, parmi les fidèles, il y a ceux qui souffrent d’une maladie et ceux qu’appellent d’autres occupations.

 

Quand j’ai demandé au Prophète, lorsqu’il m’envoya au Yémen, de m’indiquer la façon dont je devais diriger la prière, il me répondit : « Dirige la prière comme le ferait le plus faible des fidèles et sois clément envers les croyants ».

 

De plus, apparais le plus souvent au public, car la non apparition des dirigeants inquiète les administrés, entraîne l’ignorance des affaires de l’Etat et coupe le peuple des réalités ; alors les questions importantes leur apparaissent minimes et les minimes importantes,les mauvaises actions bonnes et les bonnes mauvaises. Ainsi l’équité s’entremêle avec l’injustice.

 

Le gouverneur est un être humain, il n’est pas censé savoir ce que les gens lui cachent, et la vérité ne porte pas de signe permettant de la distinguer du mensonge : de deux hommes, tu ne peux qu’être l’un : l’un généreux qui se serait toujours empressé de rendre justice. Que signifierait donc ton isolement alors qu’il s’agit d’un droit à rendre, ou d’une bonne action à faire ? L’autre de nature avare que les gens ne tarderont pas à délaisser par désespoir bien que la plupart du temps ils ne viennent pas chercher des dons, mais pour présenter des plaintes suite à des injustices dont ils ont été victimes ou demander la révision d’un traitement inique.

 

Auprès du gouverneur, il y a des proches et des conseillers, et parmi eux certains sont marqués par l’égoïsme, la convoitise et l’absence d’équité ; arrête leurs bras en supprimant toutes les causes de cet état d’esprit.

 

N’accorde aucune terre à tes proches ou à tes conseillers, ne donne jamais ton accord sur ce qu’ils convoitent si cela risque de léser les intérêts d’autrui dans la répartition de l’eau ou le partage du fruit d’une entreprise commune, et de permettre à ton entourage de faire travailler les autres hommes pour leur compte. Car la responsabilité de tels actes t’incombera aussi bien dans ce monde que dans l’au-delà.

 

Oblige chacun à remplir la mission qui lui est dévolue, qu’il te soit tout proche ou éloigné, endosse ta responsabilité avec patience et résignation. Ne ménage aucun effort pour servir une juste cause. Les suites de telles actions te seront bénéfiques.

 

Si les administrés croient déceler en toi une injustice, présente tes excuses, dissipe leur doute par cette attitude. Cela t’aidera à exercer ton âme dans la justice, de même qu’il constitue un acte de bienveillance envers tes administrés. Cette excuse servira de moyen de les redresser pour les mettre sur la bonne voie.

 

Ne refuse aucune proposition de paix émanant de ton ennemi en conformité avec les recommandations de Dieu. Car la paix est source de repos pour tes troupes, de quiétude pour toi et de sécurité pour le pays.

 

Cependant, prends garde de ton ennemi après avoir signé avec lui un traité de paix. Car le mobile de ce rapprochement serait probablement de tromper ta vigilance. Sois ferme et arme-toi de ta bonne foi.

 

Si tu conclus un pacte ou prends un engagement avec ton ennemi, respecte ta parole et remplis tes responsabilités, et pour ce faire, mets en gage ta propre personne.

 

Car de toutes les obligations divines faisant l’unanimité des gens, malgré la divergence de leurs souhaits et la disparité de leurs opinions, il n’est rien qui soit aussi important que le respect de la parole donnée.

 

Les polythéistes, sans parler des musulmans, ont respecté ce principe ; car ils sont conscients des conséquences de la trahison. Respecte donc ta parole donnée et ne trahis jamais ton engagement, encore moins ton ennemi. Car n’enfreint les ordres de Dieu que le misérable ignorant.

 

Dieu a fait du pacte conclu en son nom une sécurité qu’il a étendue à tous les hommes par sa miséricorde, une citadelle dont l’inviolabilité leur donne protection et refuge. Il ne doit y avoir ni tromperie, ni trahison. Dans tes pactes ne laisse pas de place à aucun prétexte après les avoir conclus, et n’essaie pas de les interpréter à ta guise après avoir donné assurance et confiance.

 

Le fait que certaines clauses te paraissant défavorables ne doit pas t’inciter à rompre, sans raison valable, un pacte signé au nom de Dieu. Ta patience et ta résignation, dans l’attente d’un soulagement et d’un dénouement satisfaisant de la part de Dieu sont, de loin, meilleures qu’une excuse aux conséquences redoutables. Si tu manques de loyauté, Dieu t’en voudra. Alors tu ne seras pas récompensé dans ce monde, ni dans l’au-delà.

 

Prends garde de ne pas répandre le sang sans raison valable. Car rien n’entraîne aussi facilement la vengeance, n’a de suites aussi graves, n’est plus capable de faire disparaître l’abondance et la richesse que de faire couler le sang injustement.

 

Pour juger les hommes, demain, Dieu demandera compte, en tout premier lieu, à ceux qui ont versé du sang.

 

Ne renforce pas ton autorité par l’effusion du sang innocent. Cela, au contraire, la rend plus précaire et finira par la détruire.

 

Tu n’as aucune excuse ni auprès de Dieu, ni auprès de moi en ce qui concerne un homicide prémédité. Un tel acte exige une sanction équivalente.

 

S’il t’arrive de faire une erreur, et que ton fouet, ta main ou ton sabre dépassent ton intention sache qu’un coup simple comme un coup grave peut être mortel. Que ton pouvoir ne te rende pas orgueilleux. Répare donc l’erreur en versant aux parents de la victime le dédommagement auquel ils ont droit.

 

Méfie-toi de l’orgueil, ne te laisse pas emporter par la confiance en soi qui en résulte, ni par l’amour de te voir couvert de louanges. Ce comportement est la meilleure occasion offerte au diable pour effacer toutes les bonnes actions.

 

Ne rabâche pas, à tout bout de champ, tes bienfaits destinés à tes administrés, n’exagère point la portée de ton œuvre, ne fais pas suivre tes promesses par le contraire de ce que tu as promis. Le rabâchage annihile les bienfaits, l’exagération fait disparaître la vérité, les promesses non tenues te vaudront le mépris de Dieu et des hommes.

 

Dieu à dit : « Dire ce que vous ne faites pas est grandement haïssable auprès de Dieu ! »

 

Méfie-toi de la précipitation qui te pousse à régler les affaires avant leur terme, à les négliger alors qu’elles sont prêtes, à trancher alors qu’elles sont encore confuses, à tergiverser alors qu’elles sont claires.

 

Donne à chaque affaire l’importance et la place qu’elle mérite.

 

Prends garde de t’attribuer ce que les hommes ont de commun et ce en quoi ils sont égaux. Ne fais pas semblant de ne pas voir ce que tout le monde remarque, sinon le pouvoir te sera retiré pour être confié à un autre. Si tu le fais, les choses ne tarderont pas à se dévoiler et la vérité tranchera en faveur de l’opprimé.

 

Bannis de ton âme l’oppression et la violence, l’usage précipité de ta puissance et méfie- toi du tranchant de ta langue. Protège- toi contre tous ces défauts en sachant garder ta langue et tes décisions jusqu’à ce que ta colère s’apaise et que tu sois maître de ton choix. Tu ne pourras y parvenir qu’en te souciant de ta présence devant Dieu le jour du Jugement dernier.

 

Il t’est impératif de te servir, comme guide, de l’exemple des chefs ayant fait régner la justice dans le passé, d’une tradition de vertu léguée par le Prophète, ou des obligations que Dieu a prescrites pour nous dans son Livre sacré. Suis notre exemple et conforme tes actes aux nôtres.

 

Fais tout ce qui est en ton pouvoir pour respecter le contenu de cette missive. Elle me suffit comme preuve qui ne te permet d’alléguer aucun prétexte au cas où tu te laisserais guider par les caprices de ton âme.

 

Moi je demande à Dieu, par l’étendue de sa miséricorde, par la grandeur de son pouvoir à accorder tous les désirs, qu’il me permette, ainsi qu’à toi, d’accomplir ce que nous n’avons pas d’excuses à ne pas accomplir envers Lui et les hommes, d’avoir l’estime des hommes, de laisser bonne impression sur le pays, d’avoir les grâces de Dieu, de voir grandir notre considération, et qu’il nous permette à tous les deux, de terminer notre vie dans le bonheur et le sacrifice pour Lui.

 

Nous sommes à Dieu et à Lui nous reviendrons. Bénis soient le Prophète, ses parents, ses partisans ».

 

Extrait de la voie de l’éloquence

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