Agence de Nouvelles d'Ahlul Bait (ABNA) : Amir Aziz est arrivé à Berlin il y a moins de deux semaines, après avoir été nommé imam de la plus ancienne mosquée d’Allemagne. Afin de se préparer à ses nouvelles fonctions, il a étudié l'allemand dans son pays natal, le Pakistan, mais a encore des difficultés avec la langue. Néanmoins, il insiste pour donner ses sermons en allemand, au moins partiellement, estimant que "s’adresser au public dans la langue locale est le meilleur moyen de transmettre un message."
Cette attitude d’ouverture envers l'utilisation de la langue allemande dans les mosquées est très différente de la forte critique qui a suivi une récente décision autrichienne d'exiger de tous les imams qu’ils apprennent la langue locale. La semaine dernière, le président du Bundestag (le Parlement allemand), Norbert Lammert, a jeté de l'huile sur le feu en suggérant que l'Allemagne devrait adopter une loi similaire. Cette éventualité n’inquiète pas Aziz: "la principale différence est que j’ai maintenant besoin de regarder mes notes quand je donne un sermon. Si je ne comprends pas quelque chose, je peux toujours demander à quelqu'un dans la foule de traduire".
Mais certains politiciens en Allemagne ne sont pas du même avis. Dans une interview publiée le week-end dernier dans le journal allemand Die Welt, Lammert a affirmé que la législation autrichienne "constitue une tentative intéressante d'apporter de la clarté, ce pour quoi il y a une demande en Allemagne". La déclaration a causé une grande controverse, plusieurs politiciens de gauche mettant en garde contre la formation d'une "police de la langue".
La législation autrichienne, qui interdit essentiellement aux organismes culturels islamiques de recevoir des fonds étrangers, oblige aussi en vertu de la loi les imams à être en mesure de parler allemand, dans l'espoir de rendre leurs sermons plus accessibles et transparents, tout en facilitant l'intégration des musulmans dans la société autrichienne. Lammert a suggéré de faire de même en Allemagne et a été appuyé à ce sujet par le Secrétaire général du parti conservateur (CSU), Andreas Scheuer, qui justifie la demande car elle serait une condition préalable à une «intégration réussie».
D'autres politiciens ont été quant à eux été scandalisés. Le co-président du parti vert allemand, Katrin Göring-Eckardt, a rejeté l'idée de transformer cette exigence en loi et a rappelé: "nous n’interdisons pas aux Juifs de parler hébreu dans les synagogues". Un autre dirigeant du Parti vert, Cem Özdemir, a également averti dans le Welt am Sonntag: "nous ne voulons pas de police de la langue, qui pourrait également intervenir dans l'usage du latin, de l’hébreu ou de l’arabe".
Aziz, de son côté, n’a pas de problème à l’intervention du gouvernement. "Cette loi devrait s’appliquer à toutes les communautés. Toutes les religions devraient donner des sermons dans la langue maternelle du pays où ils résident," a-t-il déclaré. Sa mosquée est fréquentée par de nombreux locuteurs natifs allemands mais aussi par des immigrants en provenance de Turquie et du Soudan, ainsi que par des diplomates étrangers travaillant en Allemagne. Comme lui, ils ne parlent pas toujours couramment l'allemand. Pourtant, il est convaincu de l'efficacité de travailler dans la langue locale.
Au lieu de se concentrer sur l'invasion de l'espace personnel et religieux, il a appelé ses collègues à voir ce qui motive la loi. «Je comprends le but de la loi autrichienne, qui survient à la lumière des récents événements en Europe", ajoute Aziz. "Le gouvernement craint que lorsque je parle arabe, je pourrais essayer de convaincre les gens à devenir des fondamentalistes. Ils veulent faire en sorte qu'aucune partie du sermon soit nuisible à la société."
Cependant, il souligne que tout ne peut pas être traduit. "Les parties de la prière qui sont en arabe, doivent le rester. C’est ainsi depuis l'époque du prophète Mahomet. Si le gouvernement veut savoir ce que nous disons, il peut demander la traduction et vérifier, afin d'éliminer tous les malentendus. Mais certaines choses ne peuvent pas être modifiées."
À la mosquée Omar Ibn Al-Khattab de Kreuzberg, les prières ont lieu en arabe avec des traductions turque et allemande simultanées sur des téléviseurs à écran plat. "C’est la meilleure solution", déclare Birol Uçan du Centre islamique. Il estime, en revanche, que les restrictions en matière de langue ne contribuent en rien à la lutte contre l'islam radical, ni à l'effort pour mieux intégrer les immigrants.
Son organisation propose sa propre alternative. "Dans notre mosquée, nous offrons des cours d'allemand et des classes qui mettent en garde contre les groupes radicaux», explique Uçan. "En outre, lors de la prière, l'imam souligne que l'extrémisme n’est pas l'Islam et appelle les membres de notre communauté à veiller sur leurs enfants. S’il était obligé de parler uniquement en allemand, les gens ne le comprendraient pas. Cela rendrait toute sa démarche inutile. Ce message est plus efficace quand il est dit en turc ou en arabe".
Selon Uçan, la nouvelle loi vise les imams étrangers qui sont envoyés en Europe par le gouvernement turc et qui reçoivent un salaire de l'ambassade locale, sans être contrôlés, "mais notre imam est né et a grandi à Berlin." Le commentaire du président du Bundestag ne l’inquiète toutefois pas. "Je ne crois pas que l'Allemagne va passer une loi similaire. La situation ici est différente, et la communauté aussi. Ici, à Berlin, nous avons des policiers qui parlent turc et russe, et la ville s’efforce de recruter des personnes issues de l'immigration. Pourquoi pas les imams aussi? "
source : abna