Il y a un "fondement" général du comportement que les chercheurs enjambent habituellement en le considérant comme une évidence courante. Il s'agit du principe de "la recherche du plaisir et de l'évitement de la douleur (ou du désagrément)" qui se trouve généralement à l'origine du comportement des êtres humains. Ainsi, lorsque nous avons faim par exemple, nous recherchons un plaisir, en l'occurrence le plaisir de la satiété, et nous voulons éviter une douleur, celle de la faim qui se traduit par la contraction des muscles de l'estomac. Et lorsque nous nous trouvons dans la solitude, nous recherchons le plaisir de la sociabilité et nous désirons éviter la douleur de la solitude et du dépaysement. Et même lorsque nous choisissons volontiers la solitude par exemple, nous recherchons le plaisir que nous procure le calme et nous évitons le désagrément des bruits et du vacarme etc...
Si nous passons sur cette évidence générale du comportement, nous nous retrouverons face à la recherche des fondements qui incarnent ce principe, pour savoir s'ils appartiennent au concept d'instinct, de besoins, de pulsions, de propensions, ou de mobiles, ou bien s'ils sont innés, acquis ou les deux à la fois, ou encore s'ils sont vitaux (biologiques) ou psychologiques, principaux ou secondaires etc...
Le fondement selon lequel "l'instinct" représente l'incarnation du principe de "plaisir" est l'une des théories laïques qui tentent d'expliquer par lui (l'instinct) tous les processus psychologiques.
En effet, cette théorie (la théorie de l'instinct) affirme que l'être humain est le produit d'une série d'instincts qui le conduisent à se mouvoir et à agir ou réagir, tel que l'instinct de "la recherche de nourriture", "l'instinct sociable", "l'instinct de combat" etc... Ces instincts pourraient être d'origine vitale, tel que "l'instinct de recherche de nourriture" ou psychologique, tel que "l'instinct de combat". Mais dans les deux cas, ces instincts constituent un fondement inné qui se trouve à l'origine des activités de l'homme.
L'un des représentants de ce courant, William McDougall(1) a placé devant chaque instinct une réaction affective qui lui soit propre. Par exemple:
- L'instinct de nourriture: réagit à la faim;
- L'instinct social: réagit à la solitude;
- L'instinct de combat: réagit à la colère etc...
Cette théorie a fait l'objet de diverses objections, dont celle selon laquelle une partie des instincts que ce chercheur avait mentionnés dans sa liste n'ont pas un fondement "vital" mais résultent de "l'acquis". Par exemple "l'instinct de combat" ne saurait être inclus sous la rubrique "Instincts", étant donné que l'homme n'est pas né avec l'inclination au combat, ou au contraire, l'inclination à la paix, lesquelles sont déterminées par le "milieu" (l'éducation) et non par "l'hérédité".
Ce qui a renforcé et réconforté ce courant opposé à la théorie de l'instinct, ce sont les recherches menées par les anthropologues auprès de peuples et de tribus primitifs, recherches qui ont montré que la tendance au combat, à la domination, à la possession et les autres penchants d'origines psychologiques sont inexistants chez lesdits peuples et tribus, lesquels vivent en paix entre eux au lieu de se battre, s'effacent au lieu de rechercher la domination, et renoncent à leurs biens au lieu de s'attacher à la possession, ce qui signifie que les fondements psychologiques, comme nous l'avons signalé, sont déterminés par "le milieu" et non par "l'hérédité".
En fait, toutes les deux théories, celle de l'instinct et celle qui lui est opposée tombent dans la même erreur: la première, parce qu'elle confond entre deux types d'instincts (le vital et le psychologique) et les place sous un même et seul fondement, et la seconde, parce qu'elle renie radicalement le fondement instinctif.
L'erreur qui a enveloppé la première théorie consiste à ne pas faire la distinction entre un fondement vital - tel l'alimentation - et un fondement psychologique - tel la domination, la possession etc. -alors que le premier relève d'un héritage inné dont la satisfaction est inévitable, sous peine de détruire l'être humain, contrairement au second, le fondement psychologique, lequel est tributaire de la nature du milieu qui le détermine: ainsi, lorsque nous sommes animés par un désir de combattre ou de posséder, nous pourrions modifier ou transformer ce désir en son contraire, la tendance à la paix et à la satisfaction avec la portion congrue en ce qui concerne les biens de ce monde. Toutefois cela ne signifie pas que le fondement psychologique n'est soumis à aucun organe inné, mais que sa soumission est en puissance, alors que celle du fondement vital est en acte.
Nous héritons, dans le cas de la faim par exemple, d'un organe inné qui débouche nécessairement sur une contraction musculaire de l'estomac, ce qui nous oblige à faire disparaître celle-ci en mangeant (et c'est cela que nous appelons en acte). Et par "en puissance" nous voulons dire que nous possédons une "prédisposition" ou une capacité héréditaire (héritée ou innée) à devenir un jour "pacifiques" ou "agressifs" par exemple.
Ainsi, "la prédisposition" ou "la capacité" constitue en elle-même un "héritage" inné, mais sa matérialisation ou sa transformation en "acte agressif" ou "acte pacifique" dépendra de l'environnement culturel qui nous conduit à être agressifs ou pacifiques.
De là, le fait de qualifier d'"instinct" l'attitude belliqueuse ou l'attitude pacifique est une erreur dans la mesure où nous ne naissons pas munis de ces attitudes, mais de la capacité à les avoir.
Quant à l'erreur qui enveloppe la théorie opposée (à celle de l'instinct), elle consiste, comme nous l'avons souligné, à ignorer la différence entre les deux formes de l'instinct (en puissance et en acte), en ne tenant pas compte du fait que la "pacificité" ou l'"agressivité" par exemple sont deux attitudes certes "acquises", mais tributaires d'un fondement "inné", qu'est la "capacité" de devenir agressif ou pacifique, et non "acquises" d'une façon absolue.
De ce qui précède nous pouvons induire que les fondements aussi bien vitaux que psychologiques sont soumis à un fondement "inné" ou "instinctif", mais alors que le premier représente un héritage effectif ou en "acte", le second incarne un héritage "en puissance" (latent).
Ceci dit, selon la conception islamique, toutefois, la recherche des fondements moteurs du comportement ne devrait pas se faire à travers la "théorie de l'instinct" ni à travers celle qui lui est opposée, mais par la recherche d'un fondement général qui précède la recherche des instincts ou leur classification en fondements vitaux et fondements psychologiques. Et c'est ce que nous essayons de faire maintenant. Référons-nous pour commencer à ce que l'Imam Ali (p) dit :
«Allah a déposé chez les Anges le 'aql (esprit, raison) sans le désir, chez les animaux le désir sans le 'aql, et chez les êtres humains le 'aql et le désir. Celui d'entre ces derniers, dont le 'aql domine le désir est meilleur que les Anges, et celui dont le désir l'emporte sur le 'aql est pire que les animaux».(2)
Ce texte islamique définit le fondement moteur du comportement à travers un trait principal qui l'empreint : la dualité. C'est dire que l'être humain est tiraillé, dans sa tendance à rechercher le plaisir et à éviter le mal, entre deux pôles ou principes : "le 'aql et le désir", "le bien et le mal", "l'objectivité et la subjectivité", les commandements et les interdictions légaux (le légal et l'illégal).
Cette composition bipartite, innée dans l'homme incarne le côté affectif de l'héritage, et a pour pendant le côté "conscient" (réfléchi) : la conscience des principes du 'aql et du désir à la fois. En d'autres termes, lorsque l'homme a été doté de "la prédisposition" ou de "la capacité" à pratiquer le bien et le mal (le 'aql et le désir), il était doté en même temps de "la conscience" du bien et du mal, afin que son comportement soit tributaire du libre choix et non de la contrainte, ce qui engage sa responsabilité dans son comportement.
Le Coran a souligné clairement ce côté "conscient" dans le verset suivant :
«Par l'âme et Celui qui l'a harmonieusement équilibrée; et lui a alors inspiré son immoralité de même que sa piété». (Sourate al-Chams, 91: 7-8)
L'énoncé : «... lui a alors inspiré son immoralité de même que sa piété» signifie la conscience des principes du désir (immoralité) et du 'aql (piété).
Ainsi, la structure bipartite que l'individu hérite et qui constitue le moteur du comportement est équilibrée par la "conscience" de cette dualité "le 'aql et le désir".
La question qui se pose maintenant est de savoir comment se définit la différence entre les deux composants de cette structure bipartite, et si le "plaisir" que le 'aql incarne est d'une force égale à celle du "plaisir" incarné par le désir ? Ou bien sont-ils de force inégale ?
La réponse à cette question se précisera nettement dans les chapitres à venir. Toutefois, nous sommes obligé de l'aborder ici, serait-ce d'une façon passagère, puisque nous traitons à présent du "fondement bipartite" du comportement humain.
Notons tout d'abord, que la différence entre le "plaisir" incarné par le 'aql et celui que le "désir" représente réside en ceci que le désir recherche la satisfaction absolue, sans la soumettre aux règles ou lois qui la régissent, alors que le 'aql opte pour une satisfaction relative ou assignée dans les limites qui lui sont fixées.
Évidemment, la satisfaction absolue est souvent impossible à réaliser en raison de la nature et des différentes circonstances de la vie qui y font obstacle (le cas par exemple d'un individu qui recherche la satisfaction absolue de sa pulsion de domination par l'accession au poste de chef d'état, ou de sa pulsion de possession par l'accumulation d'une fortune colossale, ou encore sa pulsion sexuelle, par l'accouplement avec la plus belle fille du monde etc...).
D'autre part, même lorsque la satisfaction absolue est réalisable dans des cas limités (lorsqu'on mange à satiété, ou jusqu'à réplétion, de nombreux plats très variés et très appétissants), elle pourrait provoquer une "douleur" et une maladie (la sensation de réplétion) au lieu d'apporter "le plaisir" recherché. Cela signifie donc que "la satisfaction absolue" ne réalise pas en vérité le but recherché, et que par conséquent, "la satisfaction relative" est la seule alternative pour l'être humain, et qu'elle est d'autre part à même de réaliser une plus grande satisfaction que "la satisfaction absolue". On peut illustrer cette affirmation en reprenant l'exemple de la satisfaction de la faim : si nous supposons que la satisfaction relative de l'appétit se réalise par la consommation d'un repas normal qui n'aboutit pas à la satiété totale, il s'ensuit que la santé corporelle que l'individu obtient de cette façon procure une satisfaction que "la réplétion" ne saurait réaliser, puisque celle-ci entraîne, au contraire, une maladie et un désagrément.
L'Imam Ali (p), faisant allusion à ce sujet dans un texte où il a établi une comparaison entre les principes du 'aql et ceux du désir, dit à propos du "désir" :
«Les péchés (en l'occurrence le désir) sont (comme) des chevaux rétifs qu'on a chargés et débridés, et la "piété" ('aql) est comme des montures dociles sur lesquelles on a mis leurs propriétaires en leur confiant leurs laisses».(3)
Ce texte indique que la recherche de "la satisfaction absolue est pareille à un cheval qu'on a débridé et qui conduit le cavalier à sa mort, et ce contrairement à "la satisfaction relative", laquelle est pareille à quelqu'un qui enfourche une monture docile, en tenant bien sa laisse pour l'éloigner des sentiers périlleux.
Ceci montre qu'une telle satisfaction relative ou "satisfaction objective", restreinte par les lois qui régissent l'être humain, ou par ce que l'Imam Ali (p) appelle le 'aql, se caractérise par une plus grande satisfaction que celle que réaliserait le "désir". Évidemment la réalisation de cette satisfaction dépend du processus de "l'ajournement" du "désir" ou de "la satisfaction immédiate" par lequel, comme le recommande l'Imam Ali (p), l'individu doit s'efforcer de favoriser la victoire du 'aql sur le désir.
Mais là encore la question que nous avons posée précédemment à savoir: «Le plaisir incarné par le 'aql et celui incarné par le désir sont-ils égaux quant à leur efficacité, ou bien l'un est-il plus efficace que l'autre?» se repose encore, et la réponse y est le texte de l'Imam Ali qui montre que le premier est le plus efficace, d'après la comparaison qu'il établit entre le cheval débridé et la monture maîtrisée qui représentent respectivement, le désir et le 'aql.
Mais cela n'empêche pas de penser que le plaisir de désir est plus "pressant" que le plaisir de 'aql, quand bien même ce dernier est plus efficace, étant donné que la pratique de l'ajournement du désir implique qu'il soit plus pressant que le désir de 'aql, autrement la recommandation de faire dominer le désir par le 'aql n'aurait plus aucune raison d'être. Ainsi, celui qui recherche le plaisir sexuel, par exemple, ressent forcément que la pulsion sexuelle est plus intense que la pulsion de 'aql en lui lorsqu'il décide soit de pratiquer ce qui est illégal pour se satisfaire sexuellement soit de résister à cette pulsion, en ajournant l'assouvissement et en renforçant le pouvoir du 'aql au détriment du désir. Or dans les deux cas, il y a pression de la part du désir, qui l'oblige soit à s'y soumettre, soit à y résister.
Mais, comme nous l'avons remarqué, cette pression du désir ne signifie pas qu'il est plus puissant ou plus efficace que le pouvoir du 'aql. Elle indique seulement qu'il est plus séduisant. Or cette séduction est appelée à perdre son effet dès lors que le sujet s'exerce à lui résister. Car, comme nous l'indique la fin du verset coranique : «Les pièges du diable sont faibles»(4). Et cet exercice conduirait même à renverser la situation : la répulsion pourrait se substituer à la séduction. Le Prophète (P) projette suffisamment de lumière sur ce phénomène, lorsqu'il explique que le processus de "l'ajournement" de la satisfaction du désir et le remplacement de celle-ci par le plaisir du 'aql (c'est-à-dire l'exercice au plaisir de 'aql), amène l'individu à abhorrer le côté voluptueux du plaisir : «La persistance dans le bien conduit à la détestation du mal»(5).
Ce texte islamique riche en enseignements décèle une règle relative à l'aspect rationnel ('aqlî) du plaisir, que la psychologie laïque continue d'ignorer, à savoir la possibilité d'éprouver de la répugnance pour l'aspect voluptueux du plaisir à force de s'exercer au comportement objectif (c'est-à-dire un comportement régi par les lois et les règles qui lui sont fixées)... On pourrait même dire que le verset coranique précité qui établit qu'Allah a inspiré à l'âme l'amour de la foi, et la haine de la turpitude, du péché et de la mécréance, établit clairement la vérité psychologique selon laquelle "le plaisir régi"(restrictif, strict) ou "rationnel" est non seulement plus efficace et plus agissant que le plaisir débridé ou débraillé, mais ce dernier peut se transformer en son contraire et devenir "douleur".
De là nous pouvons percevoir la différence entre la psychologie laïque et la conception islamique de ce phénomène. Certes, quelques courants laïcs s'accordent avec le point de vue islamique pour affirmer que l'aspect rationnel du plaisir est plus efficace que l'aspect voluptueux, puisque l'un des représentants contemporains de ce qu'on appelle le courant humaniste de la psychologie, professe que l'homme est bon de par sa nature, ou, tout du moins il a un fond neutre (ni bon ni mauvais), et que l'éducation ou le développement de ce fond le conduit vers la perfection. Mais les autres courants laïcs sont d'un avis tout à fait opposé, en concevant une grosse aberration scientifique, selon laquelle des deux principes qui tiraillent la nature humaine, celui qui recherche le désir est plus agissant et plus efficace que celui qui tente de le brider ou de le contenir, et ce lors même qu'il y aurait exercice et entraînement (pour contenir le désir).
Sans doute la théorie des structures de la personnalité de Freud incarne-t-elle le zénith de cette aberration à cet égard.
Cette théorie, comme on le sait, a divisé la personnalité en trois instances : "le ça", "le moi" et "le surmoi".
"Le ça" représente l'ensemble des "instincts" qui recherchent la satisfaction absolue, "le moi" a pour tâche de retenir les instincts (pulsions) du "ça" dans les limites de la réalité (la société), c'est dire qu'il régule les modes de satisfaction conformément aux exigences de la société (ses lois et ses critères). Mais cette tâche fait partie d'une autre tâche qui a rapport à une autre instance, "le surmoi". En effet "le moi" essaie de concilier également entre ce "surmoi" et les exigences du "ça" et de l'environnement social. Ainsi, lorsqu'un individu est confronté à une pulsion sexuelle par exemple, le ça le pousse à la satisfaction absolue de sa pulsion, mais étant donné qu'il est doté d'un appareil de système de valeurs, "le surmoi", celui-ci l'empêche de réaliser la satisfaction absolue. D'autre part, l'environnement social l'empêche également de réaliser cette satisfaction absolue, lors même que l'on suppose que certains modes de satisfaction concordent avec ledit organe de système de valeurs.
Cela signifie que la tâche du moi représente les tentatives de conciliation entre les revendications de trois parties: "le ça,", "le surmoi" et "la réalité sociale"(6).
Ce qui nous intéresse de traiter ici, à la lumière de la conception islamique, c'est de la détermination du rapport du "ça", en tant qu'incarnant les instincts ou le désir, au principe de la réalité sociale, et de la façon dont se comporte le "moi" dans sa relation avec ladite réalité.
La principale critique que l'on peut faire au principe de la "réalité", c'est que ce principe est présenté comme étant une sorte de "contrainte" et non comme faisant partie des deux pôles qui tiraillent la nature humaine.
Nous avons vu d'une part, comment l'Imam Ali (p) a expliqué que le "désir" et le "'aql" représentent tous deux une recherche du plaisir et un évitement de la douleur, et comment le verset coranique et le Hadith du Prophète (P) indiquent que le plaisir rationnel, si on s'y entraîne, est plus efficace que le plaisir voluptueux, et d'autre part comment la théorie du principe de la réalité sociale suppose que le "moi" (l'ego) se charge de la tâche de discipliner les instincts ou les pulsions du "ça" à travers la soumission à un facteur extérieur imposé à la personnalité, en l'occurrence "le principe de la réalité sociale", et non à un facteur inné, "le plaisir rationnel" qui répugne à la satisfaction absolue, ou la déteste, selon l'expression du Coran et du Prophète (P).
La preuve en est que Freud, l'auteur de cette théorie, compare le "moi" à un cavalier obligé d'orienter son cheval vers la direction que celui-ci désire et non vers la direction qu'il choisirait lui-même, ce qui est à l'opposé de la position islamique (laquelle symbolise l'homme par un cavalier qui tient bien en main la laisse du cheval et le mène à sa guise), et ce qui revient à dire que l'être humain, selon la vue freudienne, demeure une proie aux assauts des instincts (le ça - le désir) qui le conduisent à leur gré, une vue d'autant plus absurde que Freud, malgré toutes ses tentatives de pallier les défaillances de cette théorie fut conduit à reconnaître que l'homme est condamné à perdre, en fin de compte, dans sa lutte amère pour le contrôle de la vie.
La raison de cette conception pessimiste des capacités de l'homme tient au fait que son auteur ignore les principes de résistance ou de répression, principes qu'il a imaginés être "imposés" à la personnalité, lors même que la nature de l'activité du "moi", selon cette théorie même, doit inévitablement reposer sur une base de "plaisir rationnel". En effet, pourquoi le "moi" essaierait-il de contenter la réalité sociale, si telle tentative n'était pas liée au phénomène "de récompense et de châtiment sociaux", lequel signifie que si l'homme craint le châtiment de la société et aspire à sa récompense, c'est parce qu'il cherche à satisfaire l'un de ses besoins ou pulsions, en l'occurrence, le besoin de l'estime sociale ? En d'autres termes, lorsqu'il s'efforce de contenter la société, c'est pour éviter une "douleur" suscitée par le châtiment qu'elle est susceptible de lui infliger, et obtenir un plaisir que lui procure l'estime sociale. Or la réalisation d'un tel plaisir ne serait possible sans la nature spécifique de la structure bipolaire dont parle la législation islamique, et dont l'un des deux pôles est justement le plaisir rationnel, ce qui veut dire que celui-ci repose sur "un fondement inné" et non sur un élément extérieur imposé à la personnalité.
Ceci concerne "le principe de la réalité".
Quant au "surmoi", il semble sous-tendre la même aberration, puisque l'auteur de cette théorie laïque, le conçoit comme s'il était imposé à la personnalité, (et non comme étant un fondement inné, reposant sur la recherche objective du plaisir), ce qui implique la possibilité laissée aux instincts du "ça" de triompher en fin de compte. Et bien que Freud s'efforce de présenter "le surmoi" comme étant un fondement inné, il en traite pourtant, comme s'il émanait de la "contrainte".
Nous pouvons mieux saisir cette aberration, lorsque nous examinons la nature de l'interprétation qu'il fait de la naissance et de l'évolution de la structure humaine:
Selon cette interprétation freudienne :
L'homme primitif ou préhistorique avait une structure simple qui ne s'occupait que des instincts du "ça", qu'il satisfaisait à sa guise, tous principes et règles établis étant absents. Dans le mode d'assouvissement de ses principaux instincts, il ressemblait plutôt à un animal dévorant les êtres humains. Il représentait un père sauvage qui gardait pour lui-même ses filles et chassait ses fils. Un jour ces derniers décidèrent de le tuer et de le dévorer pour mettre fin à son accaparement de sa descendance féminine. Et pour éviter que ce drame se reproduise, la première tentative de s'opposer et de résister aux instincts du "ça", et en premier lieu celui de l'accouplement avec les proches parents eut lieu ainsi. À partir de ce tournant le "surmoi" commença à prendre forme, car l'assassinat du père fit naître le premier "sentiment de culpabilité", et la résistance aux instincts suscita le premier processus de "refoulement". D'autres types de résistance aux instincts suivirent la première et se succédèrent, pour devenir ou constituer à la longue un héritage inné qui fournit au "surmoi" un appareil de valeurs spécifiques dont hérita "le genre humain" tout entier.
Naturellement, une partie du "surmoi" est déterminée par l'éducation et la formation, mais c'est l'autre partie, celle qui représente "le sentiment de culpabilité" et "la résistance aux instincts", qui suscite notre objection et appelle un commentaire sur l'interprétation mythique de l'auteur de cette théorie.
Ici, la même question qui s'est posée à propos du "principe de la réalité" se repose: pourquoi la personnalité de l'homme préhistorique a-t-elle éprouvé "le sentiment de culpabilité" et pourquoi a-t-elle renié ou désapprouvé ses instincts ? N'est-ce pas parce que "le sentiment de culpabilité" est un fondement inné ou une partie de la structure bipolaire de l'être humain, tiraillée par "le désir et le 'aql" et dans laquelle "le sentiment de culpabilité" incarne le plaisir "'aqlite" (rationnel) qui répugne à l'assassinat et se plaît au "pacifisme" (et prend plaisir (rationnel) à la paix ou au pacifisme) ? En effet, le pacifisme, s'il n'était pas associé à un plaisir rationnel, n'aurait aucune raison d'être, et on serait même en droit de penser que l'assassinat du père (selon la logique du mythe) aurait pu se passer sans susciter aucun sentiment de regret ! Puis, pourquoi la société primitive a-t-elle désapprouvé les instincts après l'assassinat ? Cette désapprobation n'était-elle pas l'expression du plaisir rationnel qui pourrait être gouverné par "le principe de la récompense et du châtiment" sociaux, vu que ladite désapprobation était, selon Freud lui-même, le prix du progrès "civilisationnel" ? Autrement, il eût été possible que la désapprobation des instincts n'eût pas eu lieu, si cette désapprobation elle-même ne reposait pas sur un plaisir rationnel que l'être ressent, même en dehors de l'idée de la récompense sociale, et uniquement par pure conviction de l'utilité sociale d'une telle désapprobation.
Ainsi, même si on acceptait comme vraie cette interprétation historique de la naissance de la structure de la personnalité (bien qu'elle soit contredite par les événements sociaux accompagnés de sentiment de culpabilité et de désapprobation des instincts - à commencer par ce qui se passait avec Adam et sa femme, et en passant par l'attitude de ses deux fils dans l'histoire du meurtre commis par l'un et refusé par l'autre(7): tous ces événements sociaux préhistoriques dénotent la désapprobation des instincts et l'existence innée du sentiment de culpabilité) ; nous disons donc que même en supposant la justesse de cette interprétation de cette théorie laïque, la désapprobation des instincts et le sentiment de culpabilité révèlent plutôt l'existence d'un "plaisir rationnel" intrinsèque qui les suscite, que l'influence d'un élément extérieur imposé à la personnalité.
Résumé du chapitre: Il y a un fondement "moteur" de la nature humaine, qui se trouve à l'origine de la totalité du comportement humain. Il est de nature bipolaire dont les deux pôles tiraillent l'individu dans sa recherche du plaisir. Ce sont "le 'aql et le désir", "le bien et le mal" ou "l'objectivité et la subjectivité". Le premier pôle représente la recherche de la satisfaction restreinte par les principes que le Ciel a dictés : "la piété", le second, incarne la recherche de la satisfaction absolue et non astreinte à aucun principe: "la turpitude".
Ce fondement psychologique est concomitant d'un "fondement conscient" (réfléchi) dont la propriété est de distinguer entre les principes du 'aql et ceux du désir: "l'inspiration de la piété et de la turpitude"...
Et bien que les deux pôles en conflit paraissent en "équilibre", le côté (le plateau) du désir est plus pressant. Mais malgré ce fait, l'efficacité du "plaisir rationnel" s'impose et s'avère, comme l'établit le Noble Coran, qui dit qu'Allah a inculqué aux âmes l'amour de la Foi et la détestation de la mécréance. En outre, l'entraînement au côté rationnel amène la répulsion pour le côté voluptueux (de désir) et vice versa, comme nous allons le voir dans les chapitres suivant de ce livre.
source : sibtayn